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Mais c’est à Mgr Hermann Koëkemann, vicaire apostolique actuel de l’archipel, que revient le mérite de les avoir initiés à la connaissance théorique et pratique de la musique. Après avoir formé un chœur d’élite, le R. P. Hermann fit exécuter, dans la cathédrale de Honolulu, des messes en musique des plus grands maîtres. Par lui fut organisée la première fanfare digne de ce nom. Les musiciens du Père Hermann sont devenus depuis le noyau de la fanfare royale. Le goût pour le chant et la musique se répandit peu à peu et partout on organisa des Sociétés musicales. Ces exercices ont beaucoup contribué à faire abandonner aux Hawaïens leurs anciennes danses (hula) et chants (oli et mele) ou déclamations, qui, en général, sont tout à fait immorales.

L’immigration. — L’état social de ces îles est continuellement en voie de transformation. Dans ces dernières années surtout, les changements ont été plus sensibles que par le passé. Les baleiniers ayant cessé de venir, on a vigoureusement poussé les plantations de canne à sucre, ce qui a eu pour suite l’immigration rapide de toute espèce de monde. Les Chinois sont près de vingt mille, presque tous hommes ; il n’y a pas mille femmes parmi eux. Ils sont païens à l’exception de trois à quatre cents protestants et environ cinquante catholiques. Les Japonais sont environ au nombre de douze cents, dont trente à quarante catholiques et quatre cents protestants, les autres sont païens. Les Portugais (hommes femmes et enfants) sont au-delà de dix mille.

Les lépreux. — Tout un côté, hideux mais caractéristique, de la physionomie du royaume hawaïen nous échapperait, si nous le quittions sans faire une descente dans l’île de Molokai dont toute une vallée est transformée en lazaret. Depuis vingt-cinq ans, la lèpre s’est propagée dans l’archipel d’une manière si effrayante que le gouvernement s’est vu obligé d’exclure de la société des autres insulaires tous ceux qui en étaient infectés. Plusieurs milliers de malheureux ont été ainsi confinés à perpétuité sur une langue de terre de l’île Molokai où ils languissent emprisonnés entre des montagnes infranchissables et le rivage de la mer.

La lèpre, on le sait, est une maladie presque incurable. Elle s’engendre peu à peu par la corruption du sang. Les premiers symptômes sont des taches noirâtres qui apparaissent sur la peau, principalement sur les joues ; les parties qui en sont affectées restent privées de sensibilité. Au bout de quelque temps, ces taches couvrent tout le corps, et des plaies s’ouvrent aux pieds et aux mains ; les chairs se rongent en exhalant une odeur fétide, et l’haleine des lépreux devient tellement infecte que l’air en est empoisonné.

Écoutons le P. Damien Deveuster, qui partage depuis treize ans le triste exil de ces infortunés parias.

« J’ai eu beaucoup de peine à m’habituer à vivre dans cette atmosphère. Un jour, pendant la grand’messe, je me suis trouvé tellement suffoqué, que j’étais sur le point de quitter l’autel pour aller respirer l’air du dehors ; mais je fus retenu par la pensée de Notre-Seigneur faisant ouvrir devant lui le tombeau


R. P. Damien DEVEUSTER, des Sacrés-Cœurs, missionnaire de la léproserie de Molokai.


de Lazare. Maintenant la délicatesse de mon odorat ne m’occasionne plus cette souffrance, et j’entre sans difficulté dans les chambres des lépreux. Quelquefois cependant j’éprouve encore de la répugnance : c’est quand il s’agit de confesser des malades dont les plaies sont remplies de vers semblables à ceux qui dévorent les cadavres. Souvent aussi je me trouve bien embarrassé pour donner l’extrême-onction : car les pieds et les mains ne sont plus qu’une plaie. C’est le signe d’une mort prochaine. »

En dehors de certaines phases critiques de leur maladie, les lépreux n’ont pas de douleurs aiguës à endurer. Leurs membres affectés sont presque morts et privés de sensibilité. « J’en ai vu, raconte le P. Montiton, qui taillaient sans gêne au couteau leurs