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bisons qui cherchent et trouvent leur vie dans un rayon assez circonscrit, personne ne doit empiéter sur le terrain de ses voisins.

Détachons du Journal de Voyage de Mgr Lorrain ce joli croquis d’Albany et de ses habitants.

« Au soleil levant, écrit le P. Paradis, nous entrons dans la rivière Albany. À neuf milles de distance nous apercevons le fort, terme de notre course, depuis huit jours point de mire de nos vœux et de nos soupirs ; le cœur nous bat d’émotion, nos lèvres murmurent une prière, notre âme s’élève vers Dieu, reconnaissante.

« Albany est moins considérable que Moose ; mais, dans la solitude inhabitée, elle présente un spectacle qui réjouit. Au fur et à mesure que nous approchons, la résidence du Bourgeois, les magasins, les maisons des employés, tous bâtiments passés à l’eau de chaux et éclatants de blancheur, l’église catholique avec son clocher brillant, l’église protestante avec sa flèche, les mâts au haut desquels flottent les longs pavillons, la goëlette qui balance son grand mât chargé de cordages, tout cet ensemble paraît sortir de l’eau pour nous saluer.

« Le vent nous pousse ; nos hommes sérieux, fiers, le corps raide, voulant montrer ce qu’ils savent faire, rament en une cadence accélérée avec des bras d’acier ; les avirons plongent à l’eau comme des palettes de plomb : le canot galope sur la houle légère. Nous faisons redire aux rivages les versets solennels du Magnificat, le cuivre sonore soutient les voix et fait vibrer les échos.

« Tout le peuple des Cris nous attend sur le bord d’une haute falaise à douze arpents du débarcadère. Ils sont rangés sur deux lignes, curieux, étonnés, avides de voir leur évêque, le regard attaché sur ce canot attendu depuis si longtemps, grands, la tête digne, drapés comme des sénateurs romains majestueusement dans leurs guenilles. Ils nous saluent d’une décharge générale de tous leurs fusils.

« Cette poudre a coûté un repas à la tribu :

« — Mais n’importe, se sont-ils dit, jeûnons et
« sachons faire honneur au Grand Chef de la prière
« qui nous visite. »


« Puis, hommes, femmes et enfants se mettent à courir pour nous suivre ; seuls les plus vigoureux peuvent tenir tête à nos rameurs, les autres viennent espacés sur la grève, plus ou moins loin, selon la force de leur jarret. L’émotion nous gagne. Les mots du cantique s’éteignent dans notre gosier, nous avons plutôt envie de pleurer que de chanter, le silence règne à bord et sur la rive ; une larme furtive coule sur plus d’une joue.

« Nous accostons au quai de pierre. Pauvres gens, ils sont là, pâles, exténués par la famine, fatigués d’une longue attente ; le respect les tient à distance, mais sur leur figure, généralement impassible, brille la joie ; leur regard étincelle, ils sont heureux. Le voici donc enfin ce père spirituel, ce premier pasteur qui leur envoie leurs missionnaires, ce successeur des apôtres, ce représentant de JÉSUS-CHRIST, cet aiamieganawabitch, dont ils ont entendu parler si souvent et qu’ils n’ont jamais vu, qui vient les visiter de si loin et qu’ils sont venus eux-mêmes rencontrer de leurs rivières et des profondeurs de leurs forêts aux retraites insondables. Benedictus qui venit in nomine Domini. Hosanna in excelsis !

« Il est sept heures et demie. Mgr Lorrain est à jeun, nous gagnons la chapelle, escortés d’une foule empressée qui nous précède, qui nous suit, qui nous environne et nous presse. La messe est dite au milieu de cantiques chantés à pleins poumons par cette population enthousiasmée ; pas une bouche qui reste muette, c’est enlevant.

« Après la messe, il faut, selon les rites du pays, toucher la main à tout le monde, en disant : « Koué, Koué, bonjour, bonjour » ; personne ne manque à cette cérémonie, les mères y présentent leurs enfants à la mamelle. Une femme sur le retour de l’âge, s’arrête, appuyée sur un bâton, devant Sa Grandeur.

« — Gardien de la prière, dit-elle, voilà trois jours
« que je n’ai pas mangé, j’ai peine à me tenir sur mes
« jambes ; pourtant je suis contente. J’ai voulu te
« voir et je te vois. Maintenant, tu vas me permettre
« de m’en aller là où il y a du poisson et des lièvres,
« car je ne veux pas mourir.

« — Tu ne t’en iras pas, répond l’évêque, et tu ne
« mourras point. Je vais te nourrir, et non seulement
« toi, mais aussi toute ta nation. »

« Et il donne à chaque chef de famille un ordre sur le fort, pour qu’on leur distribue une ration journalière. Il faut voir l’allégresse générale. Ils vont donc pouvoir assister aux exercices de la mission sans inquiétudes pour le vivre, dans l’abondance de toutes choses. Y a-t-il sur la terre un homme aussi riche et aussi généreux que le Gardien de la prière ! Pour eux, comme pour les Israélites, avec la grâce du ciel, leur arrive la graisse de la terre. »

La mission de Pontiac compte déjà près de 32,000 catholiques.