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vraies fantasmagories, jeux de spectres chimériques empruntés au monde des rêves. Nous ne pouvions nous lasser de voir, comme l'a si bien dit le poète canadien, Fiset :

Courir ces météores,
Fantômes lumineux, esprits nés des éclairs,
Qui dansent dans la nue, étalant dans les airs
Leurs manteaux de phosphores.
Parfois en se jouant, ils offrent à nos yeux
Des palais, des clochers, des dômes radieux,
Des forêts chancelantes, .
Des flots d’hommes armés pressant leurs bataillons,
Des flottes s’engouffrant dans les vastes sillons
Des ondes écumantes.

« La clarté était plus que suffisante pour lire dans un livre et distinguer l’heure sur une montre. La largeur, la position et l’éclat de cette traînée de feu variaient sans cesse ; à un certain moment, elle avait presque disparu, et tout à coup elle se montrait plus vive qu’auparavant au nord-ouest, au zénith et au sud-est simultanément. Composée de lignes lumineuses, parallèles sans être rectilignes, elle flamboyait comme la flamme d’un feu très actif que le vent agite ; et le courant, quoique parfaitement visible, était tellement rapide que l’œil ne pouvait le suivre. Ayant lu autrefois que l’aiguille aimantée est agitée pendant une aurore boréale, j’ouvris la boîte d’une boussole très sensible ; mais je ne pus remarquer le moindre mouvement. »

Mgr Seghers. — Le vaillant prélat qui écrivait ces lignes était de ceux qui remplissent rapidement le but de leur vie et comblent en quelques années la mesure de leurs mérites.

C’est au cours d’une visite pastorale dans l’Alaska que l’éminent archevêque fut massacré par un nommé Frank Fuller engagé comme homme de peine.

Après bien des journées de marche et de courses en traîneau, la petite troupe arriva le 27 novembre 1886, à un village inhabité. Sa Grandeur, trouvant l’endroit peu convenable pour faire halte, exprima l’intention de pousser plus loin, malgré l’heure avancée, et prit l’avis des guides indiens.

Cette détermination déplut à Fuller. Il manifesta hautement son mécontentement et se plaignit aigrement de la préférence que le prélat avait pour les Indiens :

« — C’est moi, ajouta-t-il d’un ton irrité, et non pas eux que vous devriez consulter ! »

L’archevêque lui fit observer que les Indiens avaient sur lui l’avantage de connaître le pays.

Fuller ne répliqua rien. Mais, peu après, il s’aboucha avec les indigènes, eut avec eux une longue conversation et s’efforça de les indisposer contre Mgr Seghers. Témoins de la mansuétude, de la charité et de l'admirable courage de leur vénérable maître, les braves Indiens, loin d'entrer dans les vues du traître, firent part au prélat de ses menées. Celui-ci n'en tint aucun compte ; il ajourna cependant au lendemain matin l'étape supplémentaire qu'il avait projetée.

Le repas du soir eu lieu sans incident ; les couches furent dressées pour la nuit. L'archevêque se plaça, comme à l'ordinaire, entre Fuller et le métis, chef des guides.

Sur les six ou sept heures du matin, Fuller se leva et vint s'accroupir près du foyer éteint, au centre de la hutte. Il avait son fusil à la main. Il regarda longuement le prélat, qui, exténué des fatigues de la veille, dormait encore profondément ; puis, tout à coup, se dressant, il l'appela brutalement et le coucha en joue.

Les Indiens accoururent au bruit ; mais, avant qu'ils eussent pu l'empêcher, le parricide sacrilège était accompli.

Brusquement réveillé, l'héroïque apôtre avait levé la tête et ouvert les yeux. Voyant l'arme braquée sur son front, il se contenta de croiser les mains sur sa poitrine et reçut presque à bout portant la décharge, dans cette attitude de résignation et de recueillement. La balle creva l’œil gauche et, traversant la tête obliquement, sorti au-dessus de la nuque. La mort fut instantanée.

La mort du grand archevêque a eu le plus douloureux retentissement dans toute l'Amérique du Nord. Mgr Seghers était un de ces missionnaires accomplis, comme la Belgique en envoie chaque année un grand nombre aux États-Unis.

Né à Gand, le 26 décembre 1839, Mgr Charles-Jean Seghers avait été élu le 11 mars 1873 évêque de Vancouver, puis nommé archevêque titulaire d’Émèse, le 28 septembre 1878. Deux ans après, il succédait par coadjutorerie à l’archevêque d’Orégon-City. En 1884, il était replacé, sur sa demande, à la tête de son ancien diocèse.

L’activité, la haute intelligence, l’esprit d’initiative du vénéré défunt, avaient préparé et ouvert en quelques années, dans ces contrées ingrates de l’extrême nord-ouest de l’Amérique, des voies toutes nouvelles à la prédication de l’Évangile.

Que de transformations ne devait-il pas se proposer et n’eût-il pas réalisées si, dans la sagesse infinie de ses conseils, Dieu ne l’avait pas prématurément appelé à l’éternelle récompense !