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ils me faisaient promettre de revenir bientôt.

« Enfin, la barque, qui devait nous conduire au navire, se détacha du rivage, mais ils ne voulurent pas encore nous quitter. Ils nous suivirent dans l’eau, dirigeant eux-mêmes l’embarcation.

« — Reviens, missionnaire, reviens vers tes enfants
« de Roro. »

« — Reviens bientôt, criait le vieux chef Raouma
« tout en larmes, reviens bientôt, Je suis attristé par
« ton départ et je veux te revoir !... »

« Les femmes et les enfants pleuraient tout haut. Les hommes, ces hommes si rudes, laissaient couler en silence de leurs yeux de grosses larmes qui me faisaient mal... Puis, quand, forcés par l’eau qui devenait profonde, ils ne purent plus nous suivre, ils nous criaient encore de loin :

« — Reviens, missionnaire... reviens, n’oublie pas
« les fils de Roro. »

« Ce furent les dernières paroles que je pus entendre. Mon émotion était à son comble, j’avais sous les yeux ces pauvres sauvages, dans l’eau jusqu’à la ceinture, puis l’île, cette chère île, qui s’éloignait et notre cabane, que je voyais au haut de la colline, comme plongée, elle aussi, dans la douleur. Tout cela m’occupa tellement l’esprit et le cœur que je pris à peine garde à l’embarquement à bord de l’El-langowan.

« On leva l’ancre, et il fallut dire adieu à notre terre promise, adieu momentané sans doute et qui sera, je l’espère, bientôt suivi de la joie du retour. »

L’adieu, en effet, ne fut que momentané. Le Père Vérius retourna à Jule et il y continue son œuvre au milieu de ces sauvages qui l’aiment.

Voici quelques détails donnés par le Père Vérius sur les mœurs et les coutumes des sauvages, comme aussi sur le climat et les produits de l’île Jule :

« Ces braves sauvages ne sont pas guerriers. Pour armes principales, ils ont la lance et l’arc ; mais ces armes leur servent plus pour la pêche que pour la guerre.

« Ils cultivent avec succès la banane, le taro, l’yam et la canne à sucre. La végétation est splendide, jamais l’île ne perd sa fraîcheur. Les arbres y sont beaux, j’en ai vu de gigantesques, tels que le cotonnier (Silex colon), grand, régulier, à belles fleurs rouges, il prend des proportions surprenantes ; l’arbre à pain (Artocarpus), le cocotier, qui est récent dans l’île, l’arequier qui ressemble au palmiste, enfin le splendide nipa qui fournit des feuilles dont les naturels font des nattes.

« Quant aux animaux de l’île, les quadrupèdes ne sont pas nombreux. Je ne connais que le sanglier qui abonde et le chien que les sauvagesses nourrissent avec beaucoup de soin pour avoir ses dents et en faire des ornements. J’ai vu plusieurs grosses espèces de serpents, mais ils me parurent inoffensifs. Les moustiques y sont en grand nombre ; ils sont un vrai supplice ; impossible de leur échapper, surtout la nuit : ils bravent tout, même la fumée dans laquelle les sauvages s’ensevelissent pour les éviter ; il n’y a que le pétrole pour les chasser.

« Quant à la religion de nos sauvages, j’aurais de la peine à en parler avec exactitude. Ils sont fort réservés, et ne veulent jamais répondre directement aux questions sur cette matière. Ils croient sûrement à Dieu, mais ils s’en occupent moins que du diable qu’ils consultent quelquefois. De leur culte et de leur respect pour les morts, on peut induire leur croyance à l’existence de l’âme ; il m’eût fallu un séjour plus prolongé pour savoir ce qu’ils croient au juste sur tout cela. Mais on ne saurait dire, comme quelques voyageurs l’ont affirmé, qu’ils n’ont pas de religion. Il est hors de doute qu’ils ont des endroits ou des choses qui, à leurs yeux, sont sacrés ou buco dans leur langue. Volontiers ils apprenaient déjà à faire le signe de la croix, et ils attachaient à cette action une idée de religion. Plusieurs fois, je leur ai fait tenir leur promesse en leur disant : « Jéhovah a entendu tes paroles, il te voit... »

« Ils n’ont peut-être pas de culte extérieur organisé, mais, même sur ce sujet, il y a des doutes ; car, dans plusieurs villages, j’ai vu des édifices particuliers dont on n’a pas voulu m’expliquer la destination. Enfin, ils croient facilement tout ce qu’on peut leur faire comprendre des vérités de notre sainte religion. L’enseignement par le catéchisme en images est le meilleur procédé pour leur graver dans la mémoire ce qu’ils doivent retenir. Le tout est de savoir la langue : heureusement, elle est fort simple. J’ai réuni près d’un millier de mots qui me suffisaient pour leur parler couramment.

« Voilà ces sauvages qu’on se plaisait à nous dépeindre sous de sombres couleurs. Ils sont bons, hospitaliers, reconnaissants. Sans doute, ils ont les défauts de la vie sauvage : ce sont de grands enfants, mal élevés, mais, avec de la patience et la grâce de Dieu, on en fera facilement des chrétiens. »