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la terre que je voulais acquérir, marquant l'espace désiré par de petits tas de pierres. J'étalai ensuite aux pieds de Raouma trois chemises, trois couteaux de poche, trois colliers, trois miroirs et deux petites musiques avec un peu de tabac. Puis, lui faisant admirer le tout, je lui fis signe que cela était à lui et le terrain à moi. Il consentit, et toute sa famille sautait de joie. Nous revînmes à bord pour dîner, et, le soir même, nous descendîmes à terre pour couper le bois de la cabane.

« Le lendemain, 2 juillet, en moins de quatorze heures, nous arrivâmes à mettre sur pied une cabane couverte d'herbes sèches, de six mètres sur quatre avec deux compartiments. Les sauvages en sont dans l'admiration. Enfin, le 4 juillet, j'avais le bonheur de célébrer la première messe qui ait été célébrée en Nouvelle-Guinée. »

Les épreuves ne tardèrent pas à arriver : elles vinrent du côté où on ne les attendait pas. Les provisions apportées de Thursday prirent fin, la disette commença de se faire sentir, et le petit bateau qui devait ravitailler la mission ne reparaissait pas. Puis vinrent les fièvres, conséquence d’un travail prolongé, forcé, en plein soleil, plutôt que de l’insalubrité de l’île.

Mais la Providence n’abandonnait pas ceux qui s’étaient uniquement confiés en elle. Grâce à un fusil et à quelques munitions, on parvenait à abattre quelques pièces de gibier, Les provisions de chasse finirent, elles aussi, par s’épuiser, et le moment arriva où il fallut se mettre tout de bon à la sauvage : bananes le matin, bananes à midi et bananes le soir ; plût à Dieu que cela eût pu continuer ainsi ! Les objets de commerce, servant de monnaie, touchaient à leur fin, et les sauvages ne donnant rien pour rien, les bananes elles-mêmes devinrent précieuses et rares. On devine toutes les souffrances occasionnées par cette pauvreté.

Ici se place une petite excursion dans l’intérieur de la Nouvelle-Guinée, en vue d’approvisionnements à faire. Nous laissons encore parler le P. Vérius.

« Après avoir arrangé nos vêtements qui tombaient en pièces, nous préparâmes notre monnaie, c’est-à-dire les divers objets que nous devions donner en échange de ce que nous désirions. Nous dûmes prendre, sur nos affaires particulières, une hache, la seule bonne qui nous restait, une de nos chemises, deux couteaux, un miroir, du tabac et quelques allumettes. Avec cela, nous espérions acheter un porc, des bananes, des cocos et des taros.

« Le village de Bioto où nous allions n’est qu'à cinq ou six kilomètres à l’intérieur. Nous côtoyâmes tout Hall Sound. La paresse de nos sauvages s'accommode mieux de pousser avec un bâton le long des côtes, que de ramer. Après quelques heures, nous étions dans la grande et unique embouchure des deux fleuves Hilda et Ethel, qui a bien cent mètres de largeur. Quel spectacle splendide ! Les eaux calmes, les deux rives parfaitement boisées et comme parfumées ; mille oiseaux divers, aux couleurs les plus brillantes, chantaient en volant sur nos têtes, des poissons par milliers, et aussi des crocodiles nous regardaient passer. Nous traversâmes cette embouchure, et à peine eûmes-nous fait deux ou trois cents mètres que nos sauvages nous indiquèrent la rivière à gauche, Nous la remontâmes pour arriver à Bioto.

« Une trentaine de maisons bien bâties, sur deux rangs, une rue large et bien ensablée, les deux extrémités de cette rue fermées par des monuments spéciaux, attirèrent tout d’abord notre attention. C’était le village.

« Dans un de ces bâtiments se tenait une réunion de vieillards. On se dirigea vers cet édifice, toujours en silence.

« — Amis, dirent nos hommes en s’asseyant, nous
« sommes vos amis ; ce blanc, c’est le Mitsinari,
« missionnaire. »

« Je m’assis alors gravement, et saluai tous ces anciens en leur demandant leur nom et en leur faisant de petits présents : tabac, perles, etc. Alors s’engagea la conversation. J’étais dans la Maréa, maison de réception, où tous les étrangers ont le droit d’entrer, de dormir et d’être nourris. Le village entier était là, les hommes dans la Maréa, les enfants sur les escaliers, et les femmes sur la place. Après avoir remercié tout le monde et dit combien nous étions heureux de voir les fils de Bioto, et combien nous trouvions beau leur village, je commençai à leur faire entendre le but de mon voyage et je répétai avec emphase mes tarifs, c’est-à-dire les divers objets que je me proposais de donner en échange de ce que je demandais.

« Mais, au moment où je m’y attendais le moins, on nous apporta les dons de bienvenue : cinq grands plats remplis de tout ce que les sauvages ont de plus délicat. Je fis semblant d’être ravi de la chose, car ils nous faisaient là le présent des chefs. Je goûtai un peu de tout, et passai reste à mes rameurs qui, enthousiasmés, firent tout disparaître en quelques instants.