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« Un long bâtiment, construit en planches brutes de toutes grandeurs et mal assemblées, recouvert de feuilles de palmiers cousues ensembles, occupe toute la longueur ; il est partagé en une quarantaine de petits appartements de 12 à 15 pieds carrés et habité par un nombre égal de familles. Au-dessus du plafond, un grenier contient toutes les richesses du ménage. Un ou deux lits, dressés à quelques pouces de terre, un dais d'étoffe de couleur et, le long des murs, des anneaux de bronze, des ornements de plomb, enfin de larges, hautes et vieilles urnes de terre : voilà tout l'ameublement. A propos de ce dernier article, je ferai remarquer que les Dyaks y attachent le plus grand prix. Imitant à leur insu les collectionneurs européens, qui se disputent, à coups de billets de banque, les vieilles porcelaines de la Chine et du Japon, ces sauvages consacrent des sommes considérables, 200, 300 dollars (1,000, 1,500 fr.) à l’achat d’une seule de ces urnes : plus elles sont anciennes, plus elles sont appréciées.

« Dans chaque maison où nous entrâmes, on nous fit le meilleur accueil. La plus neuve et la plus belle natte était étendue en notre honneur et nous nous asseyions à la mode orientale. On plaçait devant nous, dans des boîtes en métal délicatement ouvrées, du bétel, noix dont les Dyaks et les Malais font une consommation incessante : nous nous contentions d’admirer les boîtes. Le capitaine du fort, un Singalais, nous servait d’interprète.

« Les femmes confectionnent, avec des lamelles de rotin finement fendu, des corbeilles de différentes couleurs ; on nous en montra de jolis échantillons. Les hommes s’occupent de culture, de pêche et recueillent la gutta-percha ; ils fabriquent aussi leurs ornements de bronze et leurs armes. Le costume des hommes se réduit à une pièce d’étoffe de couleur brillante, enroulée autour de la taille et descendant jusqu’aux jambes, les deux extrémités de la pièce pendant devant et derrière. Du poignet à l’épaule, le bras est couvert d’anneaux de cuivre : la cheville du pied l’est également. Un collier et une coiffure de couleur complètent le costume. Rien de beau comme un équipage de Dyaks pagayant sur la rivière ! À chaque mouvement des rameurs, les anneaux métalliques, qui ornent leurs bras, miroitent aux feux du soleil, les riantes nuances de leurs vêtements, le léger bateau. qui file rapidement entre les rives verdoyantes, tout cela offre un spectacle d’un pittoresque achevé.

« Ces indigènes ont une étrange coutume, c’est de tailler leurs dents en pointe, de les peindre en noir, parfois de les percer et de combler le trou avec de l'or ou du cuivre. Leur habitude de mâcher du bétel rend leur salive rouge et fait croire à tout instant qu'ils ont la bouche pleine de sang...

« Nous avons beaucoup de peine à obtenir que les parents nous confient leurs enfants. leurs idées sur les résultats de l'éducation sont des plus primitives. Ainsi un père de famille nous amena un jour son fils et nous pria de l’instruire. Nous lui promîmes de faire de notre mieux. Deux semaines après, le brave indigène nous adressait des reproches.

« — Comment ? disait-il tout mécontent, vous avez
« mon fils depuis quinze jours et sa peau est aussi
« noire qu’auparavant ! »

« Ce ne fut pas sans difficulté que nous lui fîmes comprendre notre impuissance absolue à opérer une telle transformation. Le père, malgré cette déconvenue, consentit pourtant à nous laisser encore le petit élève ; mais il revint bientôt, désireux de juger de ses progrès :

« — Dis-moi, mon garçon, maintenant que tu es
« savant : tardera-t-il beaucoup à pleuvoir ?

« L’enfant naturellement restait sans réponse. Le père passait à une autre question :

« — J’ai perdu mon sabre la semaine dernière ;
« sais-tu qui l’a trouvé ? .

« Après deux ou trois interrogations du même genre, le pauvre sauvage déconcerté déclara qu’il n’y avait décidément plus d’espoir et que nos leçons n’étaient bonnes à rien.

« C’est cependant par l’éducation des jeunes Dyaks que nous pourrons convertir ce peuple. Car, si nous réussissons à former quelques enfants, ils nous serviront de catéchistes et d’auxiliaires.

« Bien des points offriraient à l’évangélisation un terrain favorable,comme j’ai pu m’en assurer dans une exploration que je fis au mont Nado, chez les Dusans, à 125 milles de Labouan. La tribu est gouvernée par une vieille femme nommée Dintas ; c’est dans sa hutte que se réunit la population pour entendre mes communications. J’exposai par interprète le but de ma visite. Lorsque j’eus terminé,les Dusans délibérèrent quelque temps ; plusieurs paraissaient inquiets, et hochaient la tête. Leur décision fut qu’ils trouvaient mes propositions excellentes ; mais qu’ils me rendraient réponse plus tard. La conversion de cette peuplade me paraît facile à obtenir ; elle produirait un effet immense sur les tribus voisines.