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pied ou leurs mains absolument comme un morceau de bois. Par contre, ils se brûlent souvent assez grièvement à leur insu en s’approchant du feu sans en ressentir les premières atteintes. »

La lèpre ronge et dévore, avec une activité toujours croissante, les parties saillantes de la tête, ainsi que les autres extrémités du corps, mains, pieds, coudes, genoux.. Quelques-uns n'ont plus de nez ; d'autres, au contraire, en ont un excessivement développé. Beaucoup voient tomber, l'une après l'autre, les différentes phalanges de leurs doigts de mains et de pieds au milieu de cruelles souffrances. Pauvres malheureux, ils se font peur à eux-mêmes ; malgré cela, ils ont la manie incroyable, comme tous les autres, lépreux, du reste, d'avoir toujours sous la main une glace pour s'y contempler chaque instant.

De loin en loin l'évêque de la mission vient confirmer les néophytes que le zèle du P. Deveuster a conquis sur l'hérésie ou l'idolâtrie. C'est grande fête alors dans la triste colonie : tous les lépreux encore assez valides pour monter à cheval viennent en cavalcade à la rencontre du prélat ; des arcs de


ILES SANDWICH. — HOPITAL D'HONOLULU, desservi par des religieuses franciscaines.


triomphe sont dressés sur son passage. « Vous parlerais-je, écrivait en 1875, un témoin de ces tournées épiscopales, le P. Bouillon, vous perlerais-je d'une sérénade qui nous a été donnée le jeudi soir, au clair de la lune ? Après souper, nous sortons pour prendre le frais. Nous trouvons près de cent de nos lépreux, avec deux immenses drapeaux, quatre tambours et une douzaine d'instruments de musique. Les musiciens, dont les mains n'ont plus que deux ou trois doigts et dont les lèvres sont toutes gonflées par les excroissances de la lèpre, exécutent avec succès les morceaux les plus variés et nous intéressent pendant deux grandes heures... Le vendredi matin, 11 juin, nous quittons Kalawao. Je n'oublierai jamais cette procession de deux cents lépreux nous accompagnant, pendant plus d'un mille, au son des tambours et des instruments, deux bannières en tête. Je n'oublierai jamais les paroles d'adieu de notre vénérable vicaire apostolique, à cette multitude prosternée pour recevoir sa bénédiction. J'aurai voulu, moi aussi, dire quelques mots ; mais j'étais trop ému. De l'embarcation où nous étions montés, Mgr Maigret bénit une dernière fois cette multitude pleurant, agenouillée sur la plage. »