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les rochebaron

affolés et en proie à une panique générale, se précipitèrent dans le fleuve de Raab et y périrent en nombre considérable. Dans ses grands Mémoires, Coligny a raconté toute cette campagne, qui n’eut aucune conséquence et fut plutôt une épisode romanesque, une poussée de gentilshommes qu’une entreprise sérieuse et politique. Ce qui vaut mieux que les petits et grands Mémoires de Coligny, c’est sa correspondance avec le ministre de la guerre, Louvois. Coligny se montre tout entier dans ces lettres officielles : il y est à la fois homme de cour et de bonne compagnie, organisateur habile, militaire consommé, diplomate clairvoyant. On se demande pourquoi ces rares mérites ne furent pas mieux utilisés par Louis XIV, qui pourtant se connaissait en hommes. Le mal pour Coligny, c’est qu’il était fier, hautain et le prenait de très haut avec les gens en place. Cet ex-frondeur, cet ancien compagnon des révoltes de Condé était devenu un courtisan passable à l’égard du roi, mais il ne sut jamais plier l’échine devant les ministres. Le descendant du grand supplicié de la Saint-Barthélemy gardait un levain du XVIe siècle : il ne pouvait assouplir sa nature féodale et rembarrait avec un sans-gêne trop aristocratique bureaux, intendants et favoris. Il paya ses dédains d’un autre âge. Sa carrière se trouva brisée au lendemain de l’expédition d’Allemagne. Il ne fit plus que végéter dans sa retraite, tandis qu’un fat ridicule, l’incapable La Feuillade, son second dans le combat de Saint-Gothard, s’attribua toute la gloire de la journée, fut cru sur parole et entassa sur sa vaniteuse personne dignités et honneurs.

C’est dommage. Il y avait chez Coligny de quoi faire un général éminent ; il y avait surtout l’étoffe d’un écrivain de première volée. Un bon juge, M. Rousset, de l’Académie française, a cité avec éloges dans son Histoire de Louvois les dépêches de Coligny à ce ministre, lors de la campagne de Hongrie. M. Rousset trouve, à juste titre, dans ces dépêches, des qualités supérieures. Coligny, sans jouir d’une grande culture, n’était point cependant dénué de lettres : il en avait juste de quoi se dégrossir et ne point noyer sa trempe native. Le peu de livres qu’il avait par-