Page:Société agricole et scientifique de la Haute-Loire - Mémoires et procès-verbaux, 1879-1880, Tome 2.djvu/279

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
276
mémoires

Ce propos de l’évêque est approuvé par toute la compagnie, et surtout par le père qui livre son fils au prélat en lui disant : « Tenez, monseigneur, je prye nostre Seigneur que si bon présent en puissiez faire, qu’il vous fasse honneur en sa vie. »

L’évêque envoie aussitôt quérir son tailleur à Grenoble, et le tailleur besogne si bien la nuit que, le lendemain, le petit Pierre est tout appareillé. Après déjeuner, il monte sur le roussin et se présente à tous ses parents assemblés dans la basse-cour du château, comme il se serait présenté au duc de Savoie lui-même. « Quand le cheval sentist si petit failx sur luy, joint aussy que le jeune enfant avoit ses éperons dont il le piquoyt, commença à faire trois ou quatre saults, de quoy la compaignie eust peur qu’il affolast le garçon. Mais, au lieu de ce qu’on croyoit qu’il dust cryer à l’ayde quand il sentit le cheval si fort remuer sous luy, d’un gentil cœur, assuré comme un lyon, luy donna trois ou quatre coups d’éperon et fournit une carrière dedans ladite basse-cour ; en sorte qu’il mena le cheval à la raison, comme s’il eust eu trente ans. »

Qui fut bien aise, si ce n’est le bon vieux chevalier Bayard ? Il souriait et s’émerveillait fort. Les cousins et parents étaient ébahis de voir si frêle garçon avoir si bon courage. « Or, sus, sus, dit alors l’évêque, mon neveu, mon amy, ne descendez point et de toute la compagnie prenez congié. » Sur ce, l’enfant demanda la bénédiction de son père et chevaucha dehors le château, laissant tout le monde ravi de sa belle contenance.

Voilà un tableau pris sur le vif et où reluit, dans son entière naïveté, l’ancien esprit de famille de nos ancêtres. Ces scènes intimes, que rend si savoureuses le doux parler du Loyal Serviteur, n’eurent-elles point leur pendant sur l’esplanade du manoir de Bas ? Les vieux Rochebaron durent faire comparaître plus d’une fois leurs héritiers devant leur parentèle, soit pour discuter sur leur avenir, soit pour récréer la vue de l’assistance par la noble tournure des gentils damoiseaux, fièrement campés sur leurs palefrois. Du moment où les fils du château avaient passé l’âge de discrétion et pouvaient