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plus grand nombre d’entre eux, à aussi bon compte qu’un actif et vigilant marchand de blé, qui n’a pas autre chose à faire que d’acheter du blé en gros, de l’amasser dans de grands magasins et de le revendre en détail.

La loi qui défendit au fabricant d’exercer ce métier de vendeur en boutique tâcha d’établir forcément cette division dans les emplois des capitaux, plus promptement qu’elle n’aurait eu lieu sans cela. La loi qui obligea le fermier à exercer le métier de marchand de blé tâcha d’empêcher cette division de se faire aussi vite qu’elle se serait faite. L’une et l’autre de ces lois furent des atteintes manifestes à la liberté naturelle et, par conséquent, des injustices ; et elles furent l’une et l’autre aussi impolitiques qu’elles étaient injustes.

C’est l’intérêt de la société que des choses de ce genre ne soient ni précipitées dans leur marche ni gênées dans leur progrès. Celui qui emploie son travail ou son capital à une plus grande diversité d’objets que sa position ne lui en impose la nécessité, ne peut jamais nuire à ses voisins en vendant à meilleur compte qu’eux. Il peut seulement se faire tort à soi-même, et c’est en général ce qui lui arrive. L’homme de tous métiers n’est jamais riche, dit le proverbe. Mais la loi devrait toujours s’en reposer sur les gens du soin de leur intérêt personnel, comme étant eux-mêmes en général, dans leur situation locale, plus en état d’en bien juger que ne peut faire le législateur. Néanmoins, la plus pernicieuse, sans comparaison, de ces deux lois, ce fut celle qui força le fermier à faire le métier de marchand de blé.

Elle arrêta non-seulement cette division dans les emplois des capitaux, qui est toujours si avantageuse à la société, mais elle arrêta aussi les progrès de la culture et de l’amélioration des terres. En obligeant le fermier à faire deux métiers au lieu d’un, elle le mit dans la nécessité de partager son capital en deux portions, dont une seulement put être employée à la culture. S’il avait été le maître de vendre toute sa récolte à un marchand de blé à l’instant même que son blé eût été battu, la totalité de son capital serait immédiatement revenue à la terre et aurait été employée à acheter plus de bestiaux et à louer plus de domestiques pour la cultiver mieux et y faire de nouvelles améliorations ; mais, se trouvant obligé de vendre son blé au détail, il fut dans la nécessité de garder dans ses granges et ses greniers une grande partie de son capital pendant toute l’année, et il ne put par conséquent cultiver aussi bien qu’il aurait pu le faire sans cela avec le même capital. Ainsi, cette loi retarda néces-