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genre de travail n’était pas établi. Mais quand ce goût fut devenu assez général pour donner lieu à une demande considérable, les marchands, pour épargner les frais de transport, tâchèrent naturellement d’établir, dans leur propre pays, des manufactures, dont les produits étaient destinés à être vendus au loin, qui paraissent s’être établies dans la partie occidentale de l’Europe, après la chute de l’empire romain.

Il faut observer qu’un grand pays n’a jamais subsisté ni pu subsister, sans qu’il ait eu chez lui quelque espèce de manufacture ; et quand on dit d’un pays qu’il n’avait point de manufactures, cela doit toujours s’entendre des fabriques d’ouvrages finis et recherchés, ou de ceux qui sont destinés à être vendus au loin. En tout grand pays, les vêtements et ustensiles de ménage de la très-grande partie du peuple sont le produit de l’industrie nationale. C’est même ce qui arrive plus généralement dans ces pays pauvres dont on dit ordinairement qu’ils n’ont point de manufactures, que dans ces pays riches où on dit qu’elles abondent. Dans ceux-ci vous trouverez, en général, tant dans le vêtement que dans les ustensiles de ménage des dernières classes du peuple, des objets de manufacture étrangère, en beaucoup plus grande quantité, en proportion, que vous n’en trouverez dans les autres.

Ces manufactures d’objets destinés à être vendus au loin paraissent s’être introduites en différents pays, de deux manières différentes.

Quelquefois, elles se sont introduites de la manière dont je viens de parler, par l’action violente, pour ainsi dire, des capitaux de quelques marchands et entrepreneurs particuliers qui les avaient établies à l’imitation de manufactures étrangères de la même espèce. Ainsi, ces manufactures durent leur naissance au commerce étranger, et telles ont été, à ce qu’il semble, les anciennes manufactures d’étoffes de soie, de velours et de brocart qui fleurirent à Lucques dans le cours du treizième siècle. Elles furent bannies de cette ville par la tyrannie d’un des héros de Machiavel, Castruccio Castracani. En 1310, neuf cents familles furent chassées de Lucques ; trente et une d’elles se retirèrent à Venise, et offrirent d’y introduire l’industrie de la soie[1]. Leur offre fut acceptée ; on leur accorda plusieurs privilèges, et leur manufacture commença avec trois cents ouvriers. Telles furent encore, à ce

  1. Voyez Histoire civile de Venise, par Sandi, part. 2e, vol. I, pages 247 et 256.(Note de l’auteur)