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cultivaient les terres étaient tenanciers à volonté. Ils étaient tous ou presque tous esclaves ; mais le genre de leur servitude était plus adouci que celui qui était en usage chez les anciens Grecs et chez les Romains, ou même dans nos colonies des Indes occidentales. Ils étaient censés appartenir plus directement à la terre qu’à leur maître. Aussi, on les vendait avec la terre, mais point séparément d’elle. Ils pouvaient se marier, pourvu qu’ils eussent le consentement de leur maître ; mais ensuite celui-ci ne pouvait pas rompre cette union en vendant l’homme et la femme à des personnes différentes. Si le maître tuait ou mutilait quelqu’un de ses serfs, il était sujet à une peine qui pourtant, en général, était fort légère. Au reste, ils étaient incapables d’acquérir aucune propriété ; tout ce qu’ils avaient était acquis à leur maître, qui pouvait le leur prendre à sa volonté. Toute culture et toute amélioration faite par de tels esclaves était proprement le fait de leur maître ; elle se faisait à ses frais ; les semences, les bestiaux et les instruments de labourage, tout était à lui. Il avait la totalité du profit, ses esclaves ne pouvaient rien gagner que leur subsistance journalière. C’était donc le propriétaire lui-même, dans ce cas, qui tenait sa propre terre et la faisait valoir par les mains de ses serfs. Cette espèce de servitude subsiste encore en Russie, en Pologne, en Hongrie, en Bohême, en Moravie et dans quelques autres parties de l’Allemagne. Ce n’est que dans les provinces de l’ouest et du sud-ouest de l’Europe qu’elle s’est totalement anéantie par degrés.

Mais s’il ne faut pas espérer que de grands propriétaires fassent jamais de grandes améliorations, c’est surtout quand ils emploient le travail de gens qui sont esclaves[1]. L’expérience de tous les temps et de toutes

  1. Dans le moyen âge, et tant que l’esclavage subsista sous un gouvernement féodal, l’agriculture était partout languissante. Les nobles, propriétaires des terres, avançaient à leurs esclaves le chétif capital qui faisait aller leur culture, et tout le produit de la terre leur appartenait, soit comme rente, soit comme intérêt, soit enfin comme loyer de leurs esclaves. Dans l’état actuel de l’Europe, où la culture des terres se fait par des fermiers indépendants, le propriétaire ne fait aucune avance, il ne reçoit que la rente foncière, et cette rente ne va guère au delà du tiers de la totalité du produit, quelquefois pas au quart. Néanmoins ce tiers ou quart du produit annuel est trois ou quatre fois plus grand que n’était auparavant le total, à cause de l’amélioration des terres et de la culture, suite de l’augmentation des capitaux et de l’industrie, qui eux-mêmes sont une suite de la liberté et de la propriété dont jouit le cultivateur. À mesure des progrès que fait l’amélioration des terres, la rente diminue bien dans sa proportion avec le produit, mais elle augmente relativement à l’étendue de la terre.