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Quand on cherche à employer un capital, on préfère naturellement, à égalité de profil ou à peu près, les manufactures au commerce étranger, par la même raison qu’on préfère naturellement l’agriculture aux manufactures ; si le capital du propriétaire ou du fermier est plus assuré que celui du manufacturier, le capital du manufacturier, qui est toujours sous ses yeux et à son commandement, est aussi plus assuré que celui d’un marchand qui fait le commerce étranger. À la vérité, dans quelque période[1] que soit une société, il faut toujours que le surplus de ses produits bruts et manufacturés, ou ce qui n’est point en demande chez elle, soit envoyé au-dehors pour y être échangé contre quelque chose dont il y ait demande au-dedans. Mais il importe fort peu pour cela que le capital qui envoie à l’étranger ce produit superflu soit un capital étranger ou un capital national. Si la société n’a pas encore acquis un capital suffisant pour cultiver toutes ses terres et aussi pour manufacturer le plus complètement possible tout son produit brut, il y a même pour elle un avantage considérable à ce que son superflu soit exporté par un capital étranger, afin que tout le capital de la société soit réservé pour les emplois les plus utiles. La richesse de l’ancienne Égypte, celle de la Chine et de l’Indostan, suffisent pour démontrer qu’une nation peut parvenir à un très-haut degré d’opulence, quoique la plus grande partie de son exportation se fasse par des étrangers. Si nos colonies de l’Amérique septentrionale et des Indes occidentales n’avaient eu d’autre capital que celui qui lui appartenait pour exporter le surplus de leurs produits, leurs progrès eussent été bien moins rapides.

Ainsi, suivant le cours naturel des choses, la majeure partie du capital d’une société naissante se dirige d’abord vers l’agriculture, ensuite vers les manufactures, et en dernier lieu vers le commerce étranger. Cet ordre de choses est si naturel, que dans toute société qui a quelque territoire, il a toujours, à ce que je crois, été observé à un certain point. On y a toujours cultivé des terres avant qu’aucunes villes considérables y aient été établies, et on a élevé dans ces villes quelques espèces de fabriques grossières avant qu’on

  1. La marche progressive d’une société, depuis l’état qu’on nomme sauvage jusqu’à celui d’une grande opulence, peut être partagée en plusieurs divisions relatives à chacun de ces divers degrés d’avancement, et c’est dans ce sens que doit être pris ici le mot de période, qui désigne une de ces divisions.