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cière comme source de toutes les richesses, ils ne sollicitaient pour elle ni faveur, ni privilège quelconque ; au contraire, l’impôt, réduit à un seul mode d’assiette, était une charge réservée uniquement aux propriétaires fonciers. Les seuls privilèges qui restaient à ceux-ci étaient ceux qu’ils tenaient de la nature même et des principes de l’ordre social. On ne demandait au gouvernement que de ne pas contrarier le cours des choses et de ne pas mettre d’obstacles au progrès naturel vers lequel elles doivent marcher d’elles-mêmes. Tous les règlements que l’on sollicitait en faveur de l'industrie et du commerce étaient contenus dans ces quatre mots : laissez faire, laissez passer.

Cette doctrine, si simple dans son exposition, si généreuse dans ses résultats, eut de zélés partisans et d’ardents adversaires. Elle fut embrassée par les hommes d’État les plus éclairés de cette époque, Turgot, Trudaine, Gournay, Malesherbes, Lavoisier, de Jaucourt, Condorcet, Raynal, Dupont, Morellet, Letrosne, etc. Parmi ses détracteurs, qui furent très-nombreux, il serait difficile de citer un nom de quelque poids. Smith, qui a été le plus redoutable adversaire de la doctrine des économistes, puisqu’il l’a anéantie, n’en parle qu’avec les plus grands égards, comme d’un système aussi noble que savant et ingénieux, rempli de vues saines et droites, et celui de tous qui s’est le plus approché des vrais principes de la matière.

Mais cette doctrine de pleine liberté jeta l’alarme parmi les traitants, les fermiers des revenus publics et leurs innombrables préposés. Elle blessa l’orgueil des ministres et les prétentions non moins exigeantes des premiers commis, dont elle semblait réduire à rien le profond savoir et la longue pratique des affaires. Les négociants et les gros manufacturiers s’indignaient de ce que leurs professions étaient flétries du nom de stériles. Les propriétaires fonciers eux-mêmes jetèrent de hauts cris contre l’impôt unique dont on proposait de les charger. Il n’y eut donc pas un intérêt, pas un préjugé, pas une passion qui ne se soulevât contre les économistes, et, à défaut de raisonnements, on attaqua les doctrines avec des pamphlets et des satires.

Les idées spéculatives présentées par ces philosophes, quoique difficiles à contester au fond, s’accordent toutefois si peu avec le train des affaires humaines, elles offrent une application si éloignée aux intérêts de la société, tels que le monde les comprend, qu’elles ne fu-