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en état d’y suffire, et quoique ce prix aille toujours en diminuant et leur enlève même quelquefois toute leur rente et tout leur profit. Quelques exploitations se trouvent alors entièrement abandonnées ; d’autres ne rapportent plus de rente, et ne peuvent plus être continuées que par le propriétaire de la mine.

Le prix le plus bas auquel le charbon de terre puisse se vendre pendant un certain temps est, comme celui de toutes les autres marchandises, le prix qui est simplement suffisant pour remplacer, avec ses profits ordinaires, le capital employé à le faire venir au marché[1]. À une

  1. Smith enseigne que le prix auquel le propriétaire de la mine de charbon la plus féconde vend sa marchandise, règle le prix de cette denrée pour toutes les autres mines du voisinage. Il démontre cette proposition en observant que le propriétaire et l’entrepreneur de cette mine féconde trouvent tous deux qu’ils pourront se procurer plus de rente et plus de profit en vendant à un prix un peu au-dessous de celui de leurs voisins, et qu’alors ceux-ci, quoique moins en état de supporter une diminution, sont forcés de vendre au même prix et de baisser toujours leur prix de plus en plus, jusqu’à ce qu’ils soient descendus au point où l’exploitation serait absolument sans profit.

    M. Ricardo a jugé à propos de s’attacher à la proposition contraire. Il soutient que le prix du charbon est réglé par la mine la plus pauvre du voisinage, par celle dont le produit ne fait que rendre l’équivalent du capital employé à son exploitation, avec le profit ordinaire de ce capital, et ne peut suffire à payer un loyer ou prix de ferme quelconque au propriétaire du sol.

    Ceci est une pure dispute de mots, qui ne procède que de deux manières différentes d’exprimer le même principe, et elle disparaît dès qu’on veut définir la chose. Il est constant que la mine la plus pauvre, celle dont le produit est trop peu abondant ou d’une extraction trop dispendieuse pour que l’entrepreneur puise payer un prix de ferme, est celle qui pose les limites du prix du charbon, le taux au-dessous duquel il ne peut pas être vendu dans le canton. C’est ce que Smith reconnaît formellement lorsqu’il dit que le prix le plus bas auquel puisse se vendre le charbon de mine, pendant un certain temps, est comme celui de toutes les autres marchandises, c’est-à-dire, le prix qui ne suffit qu’à remplacer, avec le profit courant, le capital employé à faire aller l’entreprise. Il ajoute que tel doit être à peu près le prix du charbon dans une mine que le propriétaire est forcé d’exploiter lui-même, faute de trouver un entrepreneur qui consente a lui payer un loyer ou prix de ferme.

    Mais pourquoi ce prix est-il si bas ? Pourquoi le propriétaire est-il forcé de vendre sa denrée à un prix qui ne lui donne point de rente ? C’est parce que l’a ainsi voulu et réglé le propriétaire voisin qui possède une mine plus féconde. C’est le propriétaire de la mine la plus féconde qui fait la loi aux autres propriétaires de mines du voisinage, et qui leur prescrit en quelque sorte le taux auquel ils peuvent vendre, dans l’état actuel où est la demande de la denrée. En effet, si la demande est peur dix mille muids de charbon, et que la mine la plus riche puisse les fournir à un prix qui serait trop bas pour les autres mines, et qui ne rendrait pas le profit de leur exploitation, le propriétaire de cette mine plus riche profitera de son avantage naturel pour s’attribuer le monopole, et il baissera ses prix de vente jusqu’au point où il sera nécessaire pour tenir fermées toutes les autres mines du voisinage. Mais si la demande est de trente mille muids, et que pour se les procurer il faille avoir recours jusqu’à la mine la moins riche de toutes celles du canton, comme celle-ci ne peut mettre ses produits au marché qu’autant que l’entrepreneur retrouvera, dans le prix de la denrée, son capital et son profit, il faudra bien que le prix du charbon de cette mine soit assez élevé pour y suffire. Sous ce rapport, la mine la moins riche fixe le minimum au-dessous duquel le prix du charbon ne peut descendre, et à défaut duquel la mine se ferme jusqu’à ce que les consommateurs consentent à donner ce prix. Les bénéfices des mines s’élèvent de toute la différence qui existe entre ce prix le plus bas et le prix naturel auquel revient leur charbon, attendu qu’il ne peut y avoir au même marché deux prix différents pour la même denrée, à qualité égale.

    À cet égard, les mines et carrières ont un point de ressemblance avec les manufactures, le prix de leur produit étant déterminé par la quantité des demandes de la consommation, et ne pouvant jamais descendre au-dessous des avances de l’entrepreneur, augmentées du profit courant et ordinaire. Mais la différence entre ces sortes de manufactures territoriales et les manufactures industrielles, c’est que les bénéfices de ces dernières tendent toujours à se mettre de niveau, sauf le cas où le manufacturier serait possesseur d’un secret qui lui donnerait un avantage sur ses concurrents ; au lieu que, dans les mines et carrières, une inégalité naturelle contre laquelle l’industrie humaine ne peut lutter, empêche que les bénéfices résultant de l’exploitation ne s’égalisent, et les tient constamment à des hauteurs différentes.

    Mais une grave erreur de M. Ricardo, et celle qu’il nous reproduit sans cesse, c’est d’appliquer ce principe du minimum de prix résultant de la moindre fertilité des mines aux terres cultivées en blé, et de supposer qu’il règle de même le prix du blé en argent. Sans doute les besoins actuels de la consommation déterminent bien quel sera le degré de fertilité auquel une terre à blé pourra être cultivée avec avantage ; ils règlent le minimum du produit qu’il faut au propriétaire pour qu’il se décide à préférer la production des subsistances à toute autre production. Si les besoins de la population en subsistances sont satisfaits par des terrains plus productifs, le propriétaire d’une terre inférieure en qualité trouvera plus d’avantage à y faire croître des menus grains, des plantes oléagineuses, des bois, etc., ou même à y faire paître du bétail ; mais le prix moyen du blé en argent n’est nullement affecté par le plus ou le moins de fertilité des terres qui produisent cette denrée. M. Ricardo parait s’être fait une idée extrêmement fausse sur le prix du blé en argent ; il semble avoir écrit sous l’influence de ce préjugé dont l’illusion est entretenue et fortifiée par les habitudes communes de la vie, mais dont il faut se garder, quand on veut considérer d’un œil philosophique les phénomènes de la circulation des richesses. L’argent lui parait être le régulateur du prix du blé, parce que l’argent est la mesure des variations accidentelles et temporaires que le blé éprouve, comme marchandise. Mais il semble perdre de vue que la valeur de l’argent lui-même est, comme celle de toutes les autres valeurs, mesurée par le blé ; que l’argent est un produit du travail, et que ce travail a sa mesure dans la quantité de subsistances qui l’alimentent ; que les hommes ont adopté l’argent comme instrument des échanges et comme mesure de toutes les valeurs commerçables, pour la commodité et l’activité de la circulation ; mais que cet instrument ne peut remplir sa fonction qu’après qu’il a été lui-même ajusté sur l’étalon primitif et originaire des valeurs échangeables, c’est-à-dire la subsistance de l’ouvrier. Garnier.