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voisines, elles ouvrent aussi à ce produit plusieurs marchés nouveaux. Le monopole d’ailleurs est un des grands ennemis d’une bonne gestion, laquelle ne peut jamais s’établir universellement dans un pays, qu’autant que chacune se voit forcé, par une concurrence libre et générale, d’y avoir recours pour la défense de ses propres intérêts. Il n’y a pas plus de cinquante ans que quelques-uns des comtés voisins de Londres présentèrent au Parlement une pétition contre le projet d’étendre les routes entretenues[1] aux comtés plus éloignés de la capitale. Ces provinces éloignées, disaient-ils, en conséquence du bas prix de la main-d’œuvre, pourraient vendre leurs grains et fourrages à meilleur compte que nous au marché de Londres, et par ce moyen réduiraient nos fermages et ruineraient notre culture. Cependant, depuis ce temps, ces réclamants ont vu leurs fermages s’augmenter et leur culture s’améliorer.

Une pièce de blé, d’une fertilité médiocre, produit une beaucoup plus grande quantité de nourriture pour l’homme, que la meilleure prairie d’une pareille étendue. Quoique sa culture exige plus de travail, cependant le surplus qui reste après le remplacement de la semence et la subsistance de tout ce travail, est encore beaucoup plus considérable. Ainsi, en supposant qu’une livre de viande de boucherie ne valût jamais plus qu’une livre de pain, cet excédent plus fort serait partout d’une plus grande valeur et formerait un fonds plus abondant, tant pour le profit du fermier que pour la rente du propriétaire. C’est ce qui semble avoir eu lieu partout généralement dans les premiers commencements de l’agriculture.

Mais la valeur relative de ces deux espèces de nourriture, le pain et la viande de boucherie, est fort différente, selon les différentes périodes de l’agriculture. Dans l’enfance grossière de cet art, les terres inhabitées et sans culture, qui forment alors la majeure partie du pays, sont toutes abandonnées au bétail. Il y a plus de viande que de pain ; par conséquent, le pain est la nourriture pour laquelle la concurrence est plus grande, et qui, en raison de cela, se vend à plus haut prix. Ulloa nous dit qu’à Buénos-Ayres, il y a quarante ou cinquante ans, le prix ordinaire d’un bœuf, choisi parmi un troupeau de deux ou trois cents

  1. Ce sont les routes sur lesquelles sont placées des barrières nommées turn-pikes, où se perçoivent des droits dont le produit est exclusivement destiné à l’entretien des routes.