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Les habitants de la campagne, qui vivent dispersés et éloignés l’un de l’autre, ne peuvent pas facilement se concerter entre eux. Non-seulement ils n’ont jamais été réunis en corps de métier, mais même l’esprit de corporation n’a jamais régné parmi eux. On n’a jamais pensé qu’un apprentissage fût nécessaire pour l’agriculture, qui est la grande industrie de la campagne. Cependant, après ce qu’on appelle les beaux-arts et les professions libérales, il n’y a peut-être pas de profession qui exige une aussi grande variété de connaissances et autant d’expérience. La quantité innombrable de volumes qui ont été écrits sur cet art, dans toutes les langues, prouve bien que les nations les plus sages et les plus éclairées ne l’ont jamais regardé comme un sujet de facile étude. Et nous aurions peine encore à trouver dans tous ces volumes ensemble autant de connaissances sur les opérations si diverses et si compliquées de cette profession, qu’en possède communément un cultivateur même ordinaire, malgré tout le dédain avec lequel affectent de parler de lui certains auteurs inconsidérés qui ont écrit sur cette matière. Au contraire, il n’y a presque pas une profession mécanique ordinaire dont on ne puisse expliquer toutes les opérations dans une brochure de quelques pages, aussi complètement et aussi clairement que de pareilles choses peuvent se rendre à l’aide du discours et des figures. Il y en a plusieurs qui sont expliquées de cette manière dans l’Histoire des Arts et Métiers, publiée par l’Académie des sciences de France. En outre, il faut bien plus de jugement et de prudence pour diriger des opérations qui doivent varier à chaque changement de saison, et suivant une infinité d’autres circonstances, que pour des travaux qui sont toujours les mêmes ou à peu près les mêmes.

Non-seulement l’art du cultivateur, qui consiste dans la direction générale des opérations de la culture, mais même plusieurs des branches inférieures des travaux de la campagne, exigent beaucoup plus de savoir et d’expérience que la majeure partie des arts mécaniques. Un homme qui travaille sur le cuivre ou sur le fer travaille avec des outils et sur des matières dont la nature est toujours la même ou à peu près ; mais celui qui laboure la terre avec un attelage de chevaux ou de bœufs travaille avec des instruments dont la santé, la force et le tempérament sont très-différents, selon les diverses circonstances. La nature des matériaux sur lesquels il travaille n’est pas moins sujette à varier que celle des instruments dont il se sert, et les uns et les autres veulent être maniés avec beaucoup de jugement et de prudence ; aussi est-il rare