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ploie des personnes incapables, est évidemment aussi absurde qu’oppressive.

Ce n’est pas l’institution de longs apprentissages qui pourra vous garantir qu’on n’exposera pas très-souvent en vente des ouvrages défectueux. Quand on en produit de ce genre, c’est en général l’effet de la fraude, et non du manque d’habileté ; et les plus longs apprentissages ne sont pas des préservatifs contre la fraude. Pour prévenir cet abus, il faut avoir recours à des règlements d’une tout autre nature. La marque sterling sur la vaisselle, ou l’empreinte sur les draps et sur les toiles, donne aux acheteurs une garantie beaucoup plus sûre que tous les statuts d’apprentissage possibles. Aussi fait-on, en général, attention à ces marques quand on achète, tandis qu’on ne songe guère à s’informer si l’ouvrier a rempli ou non ses sept années d’apprentissage.

L’institution des longs apprentissages ne tend nullement à rendre les jeunes gens industrieux. Un journalier qui travaille à la pièce est bien plus disposé à devenir laborieux, parce que l’exercice de son industrie lui procure un bénéfice. Un apprenti doit naturellement être paresseux, et il l’est aussi presque toujours, attendu qu’il n’a pas d’intérêt immédiat au travail. Dans les emplois inférieurs, la récompense du travail est le seul attrait du travail. Ceux qui seront le plus tôt à portée de jouir de cette récompense prendront vraisemblablement le plus tôt le goût de leur métier et en acquerront les premiers l’habitude. Naturellement, un jeune homme conçoit du dégoût pour le travail, quand il travaille longtemps sans en retirer aucun bénéfice. Les enfants qu’on met en apprentissage sur les fonds des charités publiques sont presque toujours engagés pour un terme plus long que le nombre d’années ordinaires et, en général, ils deviennent très-paresseux et très-mauvais sujets.

L’apprentissage était totalement inconnu chez les anciens, tandis que les devoirs réciproques du maître et de l’apprenti forment un article important dans nos codes modernes. La loi romaine n’en parle pas. Je ne connais pas de mot grec ou latin, et je pourrais bien avancer, je crois, qu’il n’en existe point, qui réponde à l’idée que nous attachons aujourd’hui au mot d’apprenti, c’est-à-dire un serviteur engagé à travailler à un métier particulier pour le compte d’un maître, pendant un terme d’années, sous la condition que le maître lui enseignera ce métier[1].

  1. Nous ne connaissons pas assez l’état de l’industrie dans l’antiquité pour affirmer que l’apprentissage des métiers était absolument libre ou soumis à des conditions. Une grande partie des travaux industriels était faite par des esclaves, et c’est ce qu’Adam Smith a l’air d’oublier ici. Nous savons que chez les Romains l’industrie était organisée en collèges (collegia), soumis à des règlements particuliers. La loi des Douze Tables reconnaît aux collèges le droit d’établir des statuts, pourvu que ces statuts ne blessent en rien les lois.
    Mac Culloch.