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multiplier au-delà. Mais dans les sociétés civilisées, ce n’est que parmi les classes inférieures du peuple que la disette de subsistance peut mettre des bornes à la propagation de l’espèce humaine ; et cela ne peut arriver que d’une seule manière, en détruisant une grande partie des enfants que produisent les mariages féconds de ces classes du peuple[1].

Ces bornes tendront naturellement à s’agrandir par une récompense plus libérale du travail, qui mettra les parents à portée de mieux soigner leurs enfants et, par conséquent, d’en élever un plus grand nombre. Il est bon d’observer encore qu’elle opérera nécessairement cet effet, à peu près dans la proportion que déterminera la demande de travail. Si cette demande va continuellement en croissant, la récompense du travail doit nécessairement donner au mariage et à la multiplication des ouvriers un encouragement tel, qu’ils soient à même de répondre à cette demande toujours croissante par une population aussi toujours croissante.

Supposez dans un temps cette récompense moindre que ce qui est nécessaire pour produire cet effet, le manque de bras la fera bientôt monter ; et si vous la supposez, dans un autre temps, plus forte qu’il ne faut pour ce même effet, la mul-

  1. Malthus a été plus loin ; il a érigé en principe et proclamé comme une fatalité nécessaire, les tristes conséquences de ces mariages prématurés et féconds. Ses cruelles doctrines ont été adoptées un moment par tous les économistes de l’Europe, et elles dominent encore aujourd’hui toute la législation de l’Angleterre. C’est au système de Malthus que l’Angleterre doit le maintien des lois céréales, l’exagération des taxes indirectes, la révocation des lois sur les pauvres, et la création de ces affreux repaires qui, sous le nom de Work houses, ont pour but de châtier la misère comme un crime, et de punir en secourant. Peu à peu, il s’est établi en Angleterre cette étrange maxime, que toute pauvreté est l’œuvre de celui qui en souffre, et qu’il en faut pourchasser les victimes, au lieu d’en poursuivre les causes. Les législateurs, imbus de cette maxime, font des lois draconiennes contre les pauvres, plutôt que de s’attaquer à la pauvreté ; et nous craignons qu’ils ne préparent à leur pays de bien grandes tempêtes. M. de Sismondi a protesté le premier, dans ses Nouveaux principes d’économie politique, contre l’invasion de cette barbarie économique ; et M. de Villeneuve-Bargemont a très-bien démontré, dans son Économie politique chrétienne, l’impuissance des rigueurs malthusiennes pour arrêter le débordement de la population. Il faut changer de voie ; il faut prendre pour but, sincèrement et courageusement, l’amélioration du sort des classes laborieuses, et non pas leur exclusion du banquet de la vie. Telle est la tendance de l’économie politique de nos jours. A. B.