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pour élever sa famille[1]. Si, en remuant la terre toute une journée, il peut gagner de quoi acheter le soir une petite portion de riz, il est fort content. La condition des artisans y est encore pire, s’il est possible. Au lieu d’attendre tranquillement dans leurs ateliers que leurs pratiques les fassent appeler, comme en Europe, ils sont continuellement à courir par les rues avec les outils de leur métier, offrant leurs services et mendiant pour ainsi dire de l’ouvrage. La pauvreté des dernières classes du peuple à la Chine dépasse de beaucoup celle des nations les plus misérables de l’Europe. Dans le voisinage de Canton, plusieurs centaines, on dit même plusieurs milliers de familles, n’ont point d’habitations sur la terre et vivent habituellement dans de petits bateaux de pêcheurs, sur les canaux et les rivières. La subsistance qu’ils peuvent s’y procurer y est tellement rare, qu’on les voit repêcher avec avidité les restes les plus dégoûtants jetés à la mer par quelque vaisseau d’Europe. Une charogne, un chat ou un chien mort, déjà puant et à demi pourri, est une nourriture tout aussi bien reçue par eux que le serait la viande la plus saine par le peuple des autres pays. Le mariage n’est pas encouragé à la Chine par le profit qu’on retire des enfants, mais par la permission de les détruire. Dans toutes les grandes villes, il n’y

  1. Si le commerce intérieur et extérieur étaient hautement honorés en Chine, il est évident que par le grand nombre des travailleurs et le bas prix du travail, ce pays pourrait donner à ses manufactures d’exportation un immense développement. Il est également évident que, vu la grande masse de ses subsistances et l’étendue étonnante de son territoire intérieur, la Chine ne pourrait, en retour, par ses importations, augmenter d’une manière sensible son fonds annuel d’approvisionnement. C’est pourquoi elle échangerait le montant de ses produits manufacturés contre des objets de luxe réunis de toutes les parties du monde. À présent, il parait qu’on n’épargne aucun travail dans la production alimentaire. Le pays est surabondamment peuplé par rapport aux bras que son capital peut employer : et c’est pourquoi le travail est si abondant que l’on ne fait aucun effort pour l’abréger. La conséquence de ce système est probablement la production alimentaire la plus considérable que le sol puisse déployer, car il est à observer que généralement, quoique les procédés qui abrègent le travail agricole permettent au fermier d’apporter sur le marché une certaine quantité de grains à plus bas prix, ils tendent plutôt à diminuer qu’à accroître le produit total. On ne pourrait pas, en Chine, consacrer un capital immense à la fabrication des objets d’exportation, sans enlever à l’agriculture des bras, en nombre suffisant pour altérer cet état de choses et, à un certain point, diminuer le produit du pays. La demande de travailleurs industriels élèverait naturellement le prix du travail ; mais comme la quantité de subsistances ne s’accroîtrait pas, le prix des provisions atteindrait une proportion égale et même supérieure, dans le cas où la quantité d’aliments viendrait à diminuer chaque jour. Cependant le pays avancerait sans cesse en fortune : la valeur échangeable du produit annuel de son territoire et de son travail se trouverait annuellement augmentée : d’un autre côté, le fonds effectif destiné au maintien du travail serait stationnaire ou même irait en déclinant, et conséquemment la richesse ascendante de la nation tendrait plutôt à déprimer qu’à rehausser la condition du pauvre. Quant à leur indépendance des besoins de la vie, elle serait la même, ou plutôt elle aurait diminué ; et la plupart se trouveraient avoir échangé les travaux fortifiants de l’agriculture contre les occupations malsaines de l’industrie manufacturière*.
    Malthus.

    *. M. Malthus suppose ici, pour l’honneur de l’argument qu’il développe, une hypothèse qui ne peut jamais se réaliser ; c’est-à-dire, une société avançant dans tous les arts qui contribuent au bien-être, à l’élégance, et négligeant l’agriculture, sur laquelle repose sa subsistance. Il suppose que lorsqu’une nation est rapidement entraînée vers l’accumulation de la richesse commerciale, le capital se trouve détourné de l’agriculture : tandis qu’il est positif qu’une partie du capital additionnel acquis par le commerce sera employée à l’amélioration des terres ; qu’un accroissement de produits en sera la conséquence, et qu’ainsi des fonds additionnels pour le maintien du travail pourront être amassés. D’après cela, il n’est pas facile de comprendre comment, même en Chine, un accroissement dans la richesse commerciale tend à abaisser la condition du pauvre. Buchanan.