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compte, M. Cantillon[1] paraît supposer que la plus basse classe des simples manœuvres doit partout gagner au moins le double de sa subsistance, afin que ces travailleurs soient généralement en état d’élever deux enfants ; on suppose que le travail de la femme suffit seulement à sa propre dépense, à cause des soins qu’elle est obligée de donner à ses enfants. Mais on calcule que la moitié des enfants qui naissent meurent avant l’âge viril. Il faut, par conséquent, que les plus pauvres ouvriers tâchent, l’un dans l’autre, d’élever au moins quatre enfants, pour que deux seulement aient la chance de parvenir à cet âge. Or, on suppose que la subsistance nécessaire de quatre enfants est à peu près égale à celle d’un homme fait. Le même auteur ajoute que le travail d’un esclave bien constitué est estimé valoir le double de sa subsistance, et il pense que celui de l’ouvrier le plus faible ne peut pas valoir moins que celui d’un esclave bien constitué. Quoi qu’il en soit, il paraît au moins certain que, pour élever une famille, même dans la plus basse classe des plus simples manœuvres, il faut nécessairement que le travail du mari et de la femme puisse leur rapporter quelque chose de plus que ce qui est précisément indispensable pour leur propre subsistance ; mais dans quelle proportion ? Est-ce dans celle que j’ai citée, ou dans toute autre ? C’est ce que je ne prendrai pas sur moi de décider. C’est peu consolant pour les individus qui n’ont d’autre moyen d’existence que le travail.

Il y a cependant certaines circonstances qui sont quelquefois favorables aux ouvriers, et les mettent dans le cas de hausser beaucoup leurs salaires au-dessus de ce taux, qui est évidemment le plus bas qui soit compatible avec la simple humanité[2].

  1. Auteur de l’Essai sur la nature du commerce.
  2. En général, on croit avoir fait quelque chose pour la prospérité d’une nation, quand on a trouvé le moyen d’employer l’activité des enfants, et de les associer, dès leur plus bas âge, au travail de leurs pères dans les manufactures. Cependant, il résulte toujours de la lutte entre la classe ouvrière et celle qui paye, que la première donne, en retour du salaire qui lui est alloué, tout ce qu’elle peut donner de travail sans dépérir. Si les enfants ne travaillaient point, il faudrait que leurs pères gagnassent assez pour les entretenir jusqu’à ce que leurs forces fussent développées ; sans cela, les enfants mourraient en bas âge, et le travail cesserait bientôt. Mais depuis que les enfants gagnent une partie de leur vie, le salaire des pères a pu être réduit. Il n’est point résulté de leur activité une augmentation de revenu pour la classe pauvre, mais seulement une augmentation de travail, qui s’échange toujours pour la même somme, ou une diminution dans le prix des journées ; tandis que le prix total du travail national est resté le même. C’est donc sans profit pour la nation que les enfants des pauvres ont été privés du seul bonheur de leur vie, la jouissance de l’âge où les forces de leur corps et de leur esprit se développaient dans la gaieté et la liberté. C’est sans profit pour la richesse ou l’industrie, qu’on les a fait entrer, dès six ou huit ans, dans ces usines à coton, où ils travaillent douze et quatorze heures au milieu d’une atmosphère constamment chargée de poils et de poussière, et où ils périssent successivement de consomption avant d’avoir atteint vingt ans.

    On aurait honte de calculer la somme qui pourrait mériter le sacrifice de tant de victimes humaines ; mais ce crime journalier se commet gratuitement. Sismondi.