Page:Smith - Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Blanqui, 1843, I.djvu/128

Cette page a été validée par deux contributeurs.

de toutes les marchandises, ce n’est pourtant pas celle qui sert communément à apprécier cette valeur. Il est souvent difficile de fixer la proportion entre deux différentes quantités de travail. Cette proportion ne se détermine pas toujours seulement par le temps qu’on a mis à deux différentes sortes d’ouvrages. Il faut aussi tenir compte des différents degrés de fatigue qu’on a endurés et de l’habileté qu’il a fallu déployer. Il peut y avoir plus de travail dans une heure d’ouvrage pénible que dans deux heures de besogne aisée, ou dans une heure d’application à un métier qui a coûté dix années de travail à apprendre, que dans un mois d’occupation d’un genre ordinaire et à laquelle tout le monde est propre. Or, il n’est pas aisé de trouver une mesure exacte applicable au travail ou au talent. Dans le fait, on tient pourtant compte de l’une et de l’autre quand on échange ensemble les productions de deux différents genres de travail. Toutefois, ce compte-là n’est réglé sur aucune balance exacte ; c’est en marchandant et en débattant les prix de marché qu’il s’établit, d’après cette grosse équité qui, sans être fort exacte, l’est bien assez pour le train des affaires communes de la vie.

D’ailleurs, chaque marchandise est plus fréquemment échangée, et par conséquent comparée, avec d’autres marchandises qu’avec du travail. Il est donc plus naturel d’estimer sa valeur échangeable par la quantité de quelque autre denrée que par celle du travail qu’elle peut acheter. Aussi la majeure partie du peuple entend bien mieux ce qu’on veut dire par telle quantité d’une certaine denrée, que par telle quantité de travail. La première est un objet simple et palpable ; l’autre est une notion abstraite, qu’on peut bien rendre assez intelligible, mais qui n’est d’ailleurs ni aussi commune ni aussi évidente.

Mais quand les échanges ne se font plus immédiatement, et que l’argent est devenu l’instrument général du commerce, chaque marchandise particulière est plus souvent échangée contre de l’argent que contre toute autre marchandise. Le boucher ne porte guère son bœuf ou son mouton au boulanger ou au marchand de bière pour l’échanger contre du pain ou de la bière ; mais il le porte au marché, où il l’échange contre de l’argent, et ensuite il échange cet argent contre du pain et de la bière. La quantité d’argent que sa viande lui rapporte détermine aussi la quantité de pain et de bière qu’il pourra ensuite acheter avec cet argent. Il est donc plus clair et plus simple pour lui d’estimer la valeur de sa viande par la quantité d’argent, qui est la