Page:Sismondi - Nouveaux Principes d’économie politique.djvu/11

Cette page a été validée par deux contributeurs.

heur que l’homme peut atteindre par l’organisation sociale et la participation équitable de tous à ce bonheur. Il n’a point accompli sa tâche si, pour assurer des jouissances égales à tous, il rend impossible le développement complet de quelques individus distingués, s’il ne permet à aucun de s’élever au-dessus de ses semblables, s’il n’en présente aucun comme modèle à l’espèce humaine, et comme guide dans les découvertes qui tourneront à l’avantage de tous. Il ne l’a pas accomplie davantage si, n’ayant pour but que la formation de ces êtres privilégiés, il en élève un petit nombre au-dessus de leurs concitoyens, au prix des souffrances et de la dégradation de tous les autres. La nation où personne ne souffre, mais où personne ne jouit d’assez de loisir ou d’assez d’aisance pour sentir vivement et pour penser profondément, n’est qu’à demi civilisée, lors même qu’elle présenterait à ses classes inférieures une assez grande chance de bonheur. La nation où la grande masse de la population est exposée à de constantes privations, à des inquiétudes cruelles sur son existence, à tout ce qui peut courber sa volonté, dépraver sa morale, et flétrir son caractère, est asservie, dût-elle compter dans ses hautes classes des hommes parvenus au plus haut degré de féli-