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L’ÉCRIN DISPARU

Et gaiement, sur un ton d’affectueuse raillerie :

— Ne crois pas, pour autant, voir disparaître de mon front ce pli fatal sur lequel, j’ose le dire, tu échafaudes tant d’hypothèses invraisemblables. Tu oublies qu’un inventeur est l’esclave d’une idée : quand elle dit : « En avant » il faut qu’il la suive. Oui, j’ai une grande idée, que je ne te dis pas maintenant ; mais fais-moi confiance ; tu sais si je t’ai déçue jusqu’à cette heure !…

Lucie un peu rassérénée voulait ajouter encore… quand un visage souriant vint brusquement s’interposer entre le soleil du dehors et la pénombre de la tonnelle.

— Suis-je indiscrète, demanda Madeleine l’aînée de leurs enfants ?

— Non ma chérie, répondit sa mère ; viens t’asseoir ici entre nous deux ; puis rieuse et tendre, sur les deux visages qui lui sont chers, elle dépose un joyeux et cordial baiser. Grande et forte pour ses dix-neuf ans, Madeleine dans sa claire toilette de printemps, fait l’orgueil des siens ; aussi dans les yeux de Monsieur Giraldi brille un éclair de fierté.

Mais voici qu’un galop retentit dans les allées ; parmi les bosquets et les pelouses on entend une voix stridente : « D’leine… D’leine… c’est celle de Jean, espiègle de onze ans, qui à son tour fait irruption sous la tonnelle familiale. Soudain, il s’arrête interloqué. Où est-elle ? Preste, Madeleine s’est dissimulée derrière le siège de son père et Jean déconfit, regarde ne comprenant rien au stratagème. Mais bien vite la réflexion est venue : le voici qui cherche autour de la tonnelle et Madeleine dépistée, s’échappe rieuse, à pas précipités : et la course de reprendre de plus belle, au milieu des cris de joie, à travers les bosquets et les allées, sous le soleil de midi qui rutile.

Les enfants partis, les époux se regardent, souriants attendris. Cette folâtre gaieté, toute pétrie d’affectueuse candeur, qui devant leurs yeux vient de passer comme un éclair ravissant, n’est-ce pas tout leur amour, leur vie même ?

Il leur manque, il est vrai, le sage Gaston, qui est déjà dans ses quinze ans et suit les cours professionnels de l’École Technique. Mais Madeleine et Jean remplissent la maison d’une joie si bruyante, qu’ils comptent bien pour trois…

Lucie s’est levée :

— Il est midi passé, monami. Je te laisse ; que ta rêverie ne t absorbe pas au point de te faire oublier l’heure du dîner…

— Sais-tu que j’ai invité Hippolyte à manger avec nous ?

— Oui, Madeleine me l’a dit.