Page:Simon - L'écrin disparu, 1927.djvu/53

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
52
L’ÉCRIN DISPARU

Par une gaie matinée de la fin de juin, nous le trouvons assis dans une berceuse, sous sa tonnelle au feuillage vert tendre. Sur un guéridon rustique, des livres épars, du papier à lettre à son chiffre, un encrier massif avec tous ses accessoires. Léo aime à travailler là, en plein air, dans la paix de cette nature, dont les charmes sont toujours nouveaux. La côte verdoyante du Mont-Royal, les cris des oiseaux, le vol chantant des abeilles, qui dans l’air parfumé, sous les rayons solaires, vont à leur laborieuse et poétique besogne, tout cela est bien fait pour griser l’âme de joie, de bonheur et faire monter un « merci » vers l’Auteur de tant de bienfaits.

Pourtant ce matin-là, monsieur Giraldi ne travaille pas. Un journal à la main, appuyé au dos d’un large fauteuil d’osier, la tête en arrière, ses yeux regardent sans voir, le plafond de verdure qui l’abrite de sa fraîcheur bienfaisante.

Il a conservé son allure dégagée d’autrefois. Vif et nerveux, son physique a gagné légèrement d’embonpoint ; sa moustache garde le pli jeune de jadis, ainsi que sa noire chevelure, où pas un fil d’argent ne paraît encore. Mais, il y a beaucoup plus de rides qu’autrefois, sur le front pensif ; et par instant, quand il est seul, surtout, il porte sur le visage des traces de fatigue.

Le journal est tombé sur ses genoux ; ses yeux sont mi-clos ; de toute sa personne, semble se dégager une lassitude profonde.

Soudain, tout proches, des pas légers font crisser le sable de l’allée : il ne les entend pas. Un visage encore jeune s’encadre dans la baie de verdure : il ne le voit pas.

C’est Lucie son épouse bien-aimée, qui surprise du silence dont s’enveloppe son mari, vient s’informer. Elle a gardé, elle aussi l’allure jeune, malgré ses quarante printemps ; en toilette du matin elle est là, immobile dans les frondaisons, regardant Léo qui rêve et, comme une sorte de mélancolie, se reflète dans son regard affectueux et compatissant.

Mais le rêveur a fait un mouvement ; il pousse un profond soupir en se redressant ; ses yeux tombent sur la statue vivante qui, dans un cadre de verdure et de soleil, lui sourit aimablement.

— Tu étais là… fit-il avec surprise ? Je ne t’ai pas entendue venir… et il eut un imperceptible froncement de sourcils.

— Toujours dans les nuages !… Je te regardais rêver mon ami…

Elle s’assied, puis la conversation commence.

— Tu devrais laisser tes livres, mon cher, et te reposer. Je t assure, tu sembles fatigué ; c’est la même réflexion que me fai-