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L’ÉCRIN DISPARU

Au pied de cette tombe isolée, qui ne reçoit que d’anonymes prières, on ne voit jamais personne se mettre à genoux.

Les employés du cimetière, cependant, jamais n’y laissent poindre une mauvaise herbe. Et quand les pieuses familles canadiennes, par les derniers beaux jours d’octobre, aux environs de la Toussaint ou de la Fête des Morts vont rendre visite à leurs défunts, la tombe des époux « Raimbaud » ne détonne pas dans la mélancolique toilette, dont ces jours-là, se pare le Champ du Repos.

M. Giraldi devenu sujet britannique, plusieurs fois déjà, avait été sollicité en vue de l’arène politique, où il ferait sans doute grande figure. Tour à tour, libéraux et conservateurs étaient venus faire miroiter à ses yeux le prestige qui s’attache à un siège de député, ou de conseiller législatif. Avec une fermeté et un dédain assez peu communs, il avait répondu à toutes ces avances par ces mots : « Ma politique à moi, c’est la science et ma famille. »

De son argent, du reste, il faisait un noble emploi. Après avoir agrandi sa résidence d’Outremont, qu’il embellit d’un superbe jardin anglais, il fit l’acquisition de la Villa des Cèdres sur les bords du lac Nominingue où chaque année, la famille allait passer la belle saison. Il avait rompu avec son noir pessimisme et ouvert de nouveau son âme aux idées généreuses de solidarité et de philanthropie.

Songeant à ses débuts laborieux par défaut de ressources pécuniaires, il voulut doter de plusieurs bourses les Écoles Technique et Polytechnique de Montréal pour aider certains jeunes gens de talents, mais dépourvus de fortune.

Les œuvres catholiques n’avaient pas de meilleur soutien que Monsieur Giraldi ; il s’intéressait de préférence aux jeunes, abandonnés à eux-mêmes. Il suffisait de lui faire savoir que tel orphelin était dans la misère, pour qu’aussitôt il intervînt.

Mais, dans cette catégorie d’infortunés, Rodolphe Raimbaud était demeuré au premier rang des préoccupations du millionnaire. Au lendemain de son changement de fortune, il s’était ouvert à son épouse de l’intérêt que, malgré tout, il avait conservé pour le malheureux jeune homme.

— Coupable ou non, disait-il, il n’en est pas moins digne de pitié. Qui sait où il est ? et ce qu’il fait à présent !… Seul, dans la vie, exposé à toutes les tentations, à toutes les défaillances, n’est-il pas la triste victime d’une irrémédiable déchéance ?… Si l’on savait, il serait peut-être encore temps de lui tendre la main, de guérir cette âme ulcérée, de sauver enfin cette jeune existence, de la honte et de l’abjection…