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L’ÉCRIN DISPARU

photographie, publieraient à tous les échos, tant du Canada que des États-Unis que Rodolphe Raimbaud méritait le mépris, l’exécration de tous les honnêtes gens.

Cette cruelle pensée, entrant comme un poignard dans son cœur, qui était bien moins pervers qu’on ne l’aurait cru, y souleva une tempête si violente, que d’une brusque secousse, il s’arracha à l’étreinte des agents, et prompt comme un éclair se mit à fuir à toutes jambes. La peur lui donnant des ailes, il ne s’arrêta que, lorsque à bout de souffle, il se crut en sécurité. Mais, depuis longtemps, les agents de police, qui n’avaient ni son âge, ni son agilité, avaient renoncé à la poursuite.

Jusqu’au matin Rodolphe fit mine de marcher comme un commissionnaire affairé, pour dépister tous les soupçons de la police. Cependant, vaincu par l’épuisement, le soleil le surprit somnolant sur un banc en face de l’Hudson. Une fièvre intense faisait battre ses tempes ; sentant le besoin de changer de lieu pour ne pas attirer l’attention, il se leva péniblement pour traverser l’Avenue Lincoln ; mais voilà que pour éviter une automobile qu’il n’avait pas entendue, il recula si malencontreusement qu’il vint heurter un fiacre au trot, eut l’impression d’un choc extrêmement violent à la tête, entendit des cris, puis… plus rien…


IX

À L’INSTITUT GRANT.


Quand Rodolphe revint à lui, ses yeux ahuris aperçurent deux rangées de lits blancs, où des gardes-malades empressées faisaient leurs services quotidiens. Il est là, isolé, inconnu de tous ne connaissant personne ; un bandeau entoure sa tête endolorie d’où s’échappent des odeurs pharmaceutiques.

L’interne de service s’approchant, examine la blessure, lui fait raconter le détail de l’accident. Mais, à peine le malade a-t-il achevé, qu’il retombe épuisé sur sa couche. Bientôt, des mots incohérents sortent de ses lèvres ; son front est brûlant, une fièvre cérébrale se déclare, conséquence du choc reçu ; cependant il n’y a nulle fracture et faisant constater à l’infirmière l’état d’épuisement du patient, le médecin passe au suivant ; il en voit tant, défiler chaque jour sous ses yeux, qu’il n’a pas le temps de s’apitoyer sur cette misère anonyme et pauvre.

Et désormais, Rodolphe n’a plus de nom : il n’est plus qu’un chiffre : c’est le No 17 de la salle « Carnegie ». Pendant dix jours, il délire malgré le sachet de glace qui ne quitte pas sa