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L’ÉCRIN DISPARU

À présent qu’il n’avait plus ni faim, ni soif, Rodolphe néanmoins, se sentait accablé d’une lourde fatigue.

Ils sortirent du restaurant et l’homme s’empara de son bras.

— À présent, causons. Demain, je te donnerai de l’ouvrage. Tu veux bien, en attendant, me rendre un petit service hein ?

— Oh oui ! fit Rodolphe d’un élan : vous êtes si bon…

L’autre eut un petit ricanement :

— C’est la première fois que je me l’entends dire !… eh bien, voilà… il semblait chercher ses paroles.

— Nous sommes deux ou trois qui avons résolu de jouer une farce à un copain ; elle sera drôle, tu verras ; mais on ne voudrait pas être dérangé, comprends-tu ? Alors, tu demeureras dans la rue ; on te donnera un sifflet et si tu vois quelqu’un approcher, tu siffleras… C’est pas difficile hein ?

Abruti par la fatigue et la boisson, Rodolphe répondit d’un signe de tête, sans se rendre compte du rôle bizarre et équivoque qu’on lui assignait.

— Oh ! dit l’homme, j’oubliais : si tu vois des policiers tu siffleras aussi hein ? car ces gens-là, vois-tu, ça n’aime pas nos jeux.

Rodolphe attendit, incapable de réfléchir et de comprendre. Un homme alla se poster au bout de la rue ; les deux autres, bientôt à proximité d’une belle résidence, s’arrêtèrent en face d’une fenêtre, paraissant absorbés dans un travail mystérieux. Appuyé à un mur, le jeune homme, n’ayant ni la force de penser, encore moins celle de surveiller, tomba dans une indicible somnolence.

Un coup de sifflet strident le fit tressaillir, puis ce fut une course affolée : près de lui, deux hommes passèrent comme des flèches puis disparurent au coin de la rue. Avant que Rodolphe eût compris, deux agents de haute stature et pas mal ventripotents, étaient sur lui et le secouaient rudement.

— Ah ! tu faisais le guet, gibier de potence : si les autres nous échappent, du moins, nous te tenons. Allez ouff, en route et au Poste de police…

Revenu à lui, par la violence de l’émotion, le jeune homme éprouva la sensation d’un abîme s’ouvrant sous ses pas. La stupeur étouffait les mots dans sa gorge. Il ne saisissait pas encore le sinistre rôle qu’on lui avait fait jouer : il savait seulement qu’il était entre les mains de la police, qu’on allait l’interroger, qu’il serait forcé de dire son nom, et que demain, peut-être, les journaux des deux côtés de la frontière, avec son nom et sa