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L’ÉCRIN DISPARU

ses lèvres ; tout le reste, il semblait l’avoir oublié. Parfois levant ses yeux désespérés vers la nuit noire, il cherchait un guide, une étoile, comptant peut-être voir se détacher là-haut, nimbée de lumière, la douce, la sereine figure de sa mère tant aimée…

Puis, comme si elle n’avait pas pu l’entendre, il s’arrêtait, et tandis que des larmes coulaient de ses yeux enflammés, joignant les mains dans une infinie et pitoyable plainte, il allait répétant :

— Maman, ce n’est pas moi !… ce n’est pas moi… qui l’ai dérobé.


VIII

DERRIÈRE LA FRONTIÈRE.


Honteux de lui-même, traqué par la police, craignant la rencontre de personnes connues, et jugeant impossible la vie dans son propre pays, Rodolphe résolut de mettre le 45ième parallèle entre lui et la ville où il s’était perdu de réputation. Pour prendre le train, il se rendit pédestrement jusqu’à une station de campagne, afin d’éviter tout regard connu, paya sa place du peu d’argent qui lui restait ; ayant heureusement échappé à l’inquisition faite à la frontière, il débarqua à Troy, sur l’Hudson, à onze heures et quarante-sept du soir.

Après une semaine de séjour aux États-Unis, les ressources du pauvre exilé étaient plus que modiques… Or, ce jour-là, il lui restait cinquante sous, tous comptes faits : non sans effroi, il palpait l’unique pièce dans sa poche, qui bientôt serait absolument vide. Il avait faim, et n’osait se décider à entamer sa dernière réserve ; quand elle aurait disparu, que lui resterait-il pour se nourrir, s’abriter ?… Dans cette cité de plus de quatre-vingt mille habitants, il ne connaissait âme qui vive ; il était là, perdu dans un bruyant centre industriel, comme l’atome roulé dans un tourbillon.

Dès le lendemain de son arrivée, il s’était mis à la recherche d’une position ; déjà, il avait frappé à plus de dix portes : magasins, bureaux, ateliers, etc…

Partout, on lui demandait :

— Avez-vous déjà travaillé ? Quelles sont vos aptitudes ? Que pouvez-vous faire ?… Le ton embarrassé de ses réponses, l’accent étrange de sa prononciation, ses traits tirés, l’apparence minable de ses vêtements, tout contribuait à le faire éconduire de chaque endroit, pas toujours poliment.