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longé, d’autant plus que lui-même, n’ayant pas son adresse, n’avait pu la prévenir. Pour justifier ce délai anormal, il avait rejeté sur la fatigue, les embarras d’un long voyage, sur mille incidents imprévus, etc… le retard à la lettre attendue.

La famille avait retrouvé ses appartements d’Outremont et monsieur Giraldi se plaisait à jouir des derniers restes de la belle saison, assis sous le kiosque du jardin, qui avait retenu ses préférences.

Or, ce matin-là, en dépouillant son courrier, ses yeux reconnurent enfin l’écriture de sa chère Lédia. Un soupir de joie gonfla un instant sa poitrine ; hâtivement, il brisa l’enveloppe et lut :

Philadelphie… le 20 septembre… 19…
Monsieur,

Une plume, imprudente peut-être, mais dont je loue l’indiscrétion, m’a fait savoir qu’à dessein vous aviez préparé mon absence en vue de réunir chez vous tous ceux qui vous sont chers, à quelque titre que ce soit, et que vous les avez reçus avec un luxe, comme jamais vous ne l’avez fait en ma présence.

Puis donc que je vous suis devenue étrangère, et qu’il n’y a plus de place pour moi à votre table, j’ai l’honneur de vous faire savoir, Monsieur, que je reprends dès aujourd’hui ma liberté et considère comme nuis et non avenus, entre nous, tous les liens du passé. Du reste, l’antipathie générale que m’a valu le dévouement à la personne de mon cher père, suffit à me prouver que le bonheur pour moi est désormais impossible à vos côtés. J’ai retrouvé ici des amitiés fidèles, qui me consoleront amplement de votre hypocrite sympathie.

Signé : Lédia WALDORF.

Anéanti par cette foudroyante nouvelle, monsieur Giraldi n’avait pu en croire ses yeux ; il avait relu la lettre, puis fait des efforts pour se persuader qu’il n’était pas le jouet d’une illusion, la victime d’un rêve.

Il n’avait pas eu le temps de reprendre possession de lui-même, lorsque descendant au jardin, la femme de chambre vint le prévenir qu’un visiteur l’attendait au salon.

À peine conscient de sa démarche, il suivit la domestique et bientôt se trouva face à face avec le Père Rodolpho, qui venait lui faire ses adieux avant de retourner à la Trappe de Mistassini.