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L’ÉCRIN DISPARU

On avait transporté le mort et Je blessé dans l’habitation ; puis, un silence mêlé de stupeur continua à régner, durant lequel chacun osait à peine penser à ces événements, qui déconcertaient les plus optimistes.

Un instant Lédia en vint à souhaiter, qu’oubliée de tous, elle pût mourir dans cette muette et terrifiante solitude, tant elle était épuisée et sentait se ralentir les battements de son cœur. Quelle délivrance ce lui serait, de mourir ainsi, sans avoir revu ceux dont elle ne pouvait espérer aucun pardon et qui jusqu’à son dernier jour, lui reprocheraient leurs deuils inconsolables…

Le soleil cependant, montait à l’horizon ; des bruits lointains de la route comme de la résidence annonçaient la reprise normale des occupations quotidiennes.

Une idée lancinante vint réveiller les angoisses de Lédia :

— On va me chercher, me découvrir ici, peut-être et me ramener à la maison…

Elle se représenta avec horreur l’interrogatoire qu’il lui faudrait subir… Non, à tout prix, il fallait y échapper. À son tour, elle saurait choisir un refuge, dont les grands arbres garderaient longtemps, toujours peut-être le secret… Ne valait-il pas mieux finir paisiblement son existence, loin de tous ?… son agonie s’achèverait là sous le regard de Dieu, qui, lui ne la maudirait pas, sachant combien de tortures elle avait souffertes.

Pleine de ces sombres pensées, elle se leva pour se diriger vers la berge ; son pied soudain heurta un paquet enveloppé de linge ; elle eut une commotion nerveuse en se rappelant les provisions apportées la veille… il n’était plus… celui auquel ces aliments étaient destinés ; il ne toucherait pas au pain dont sa fille s’était privée pour le nourrir.

Retrouvant le canot qui l’avait amenée, elle y entra, ses bras épuisés ayant peine à faire avancer l’embarcation ; non sans efforts, elle parvint à la lisière de la futaie. Elle venait de franchir l’espace gazonné qui sépare le chemin du bord de l’eau, lorsqu’une voix haletante appela :

— Lédia !… Lédia !…

La fugitive tenta de marcher plus vite, mais ses genoux accablés fléchirent ; elle glissa et serait tombée, si son amie madame Walfish accourue près d’elle ne l’eût soutenue dans ses bras.

— Ma pauvre amie, dans quel état je vous vois !… vous avez l’air d’une morte.

Celle qui toujours lui était apparue distinguée, élégante, sereine, elle la voyait maintenant en guenilles, vêtue d’habits dé-