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L’ÉCRIN DISPARU

— Sans doute : mais alors, pourquoi s’est-il enfui ? Et que serait devenu l’écrin des bagues ?

Comme elle se taisait, frappée de la logique du raisonnement, il ajouta aussitôt :

— Des bijoux pour une valeur de douze mille dollars… trouves-tu que c’est peu de chose ?

Le ton singulier, dont il articula ces mots, la surprit. Un instant, elle regarda la pâle figure, au front pensif, aux traits un peu durs, dont les yeux gris se baissèrent une seconde sous son clair regard.

— Voyons Léo, ce n’est pas bien ce que tu dis là. Tu es bon pour moi, bon pour nos enfants, mais il y a des moments où ton indifférence pour les autres m’effraye.

Dans ce drame, par exemple, où tu viens de passer, tu ne songes ni à la torture morale du pauvre père, ni à l’effroyable remords de son indigne fils. Faut-il te l’avouer, Léo, je me demande vraiment à qui va ta compassion en cette affaire, et ce que tu en penses…

— Inutile de t’expliquer, répondit-il presque sèchement. Ma pauvre Lucie, le sentiment, comme d’habitude, t’égare un peu, et longtemps encore tu demeureras romanesque !…

Parce que je ne m’excite pas, et que je raconte les choses comme un homme, tu me juges de suite, et sans cœur, et incapable de compassion !… Crois-moi, j’ai eu, et je garde encore pour ces deux êtres toute la pitié qu’ils méritent ; mais dire qu’elle est excessive serait aussi déraisonnable que faux. — D’ailleurs, moi aussi, j’ai souffert et sans avoir rien à me reprocher !… Te souviens-tu encore Lucie, des dures années qui suivirent notre mariage ? qu’avions-nous fait pour mériter la misère injuste qui fut la nôtre ? Tu n’as jamais su les angoisses qui m’ont assailli lors de ta maladie, quand je faillis te perdre, toi que j’aime plus que ma vie, et cela, faute de pouvoir te soigner convenablement.

Qui alors, nous tendit la main ?… qui s’occupa de nous, parmi nos connaissances et nos soi-disant amis ?… Qui vint à notre aide Lucie ? — Seul, un bon vieux Canadien me donna… sais-tu quoi ?… des conseils !…

Léo GIRALDI s’animait en parlant, le sang colora ses joues pâles.

— Jamais, entends-tu, jamais je n’oublierai ces cruelles impasses, où je sentis toutes les cruautés de l’égoïsme humain. — J’avais partagé, jadis, de généreuses illusions, sur la bonté et la solidarité humaines !… Aujourd’hui, déçu, mon cœur s’est cuirassé contre les apitoiements stériles.