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GASTON CHAMBRUN

aujourd’hui ton consentement à l’union de Gaston Chambrun avec ma fille, Marie-Jeanne.

Une stupeur clouait Chambrun, immobile, sans paroles.

— Elle les a les cinquante mille piastres de dot que je t’ai annoncées, acheva Monsieur Richstone. J’attends ta réponse, ou plutôt je l’ai déjà car tu m’as donné ta parole.

— Ah ! s’écria la mère de Gaston en joignant ses mains sur l’épaule de Monsieur Richstone, au nom de mon fils je vous bénis. Et des larmes tremblaient dans sa voix.

Puis elle attira Marie-Jeanne sur son cœur.

— Viens là, ma fille, viens ; depuis des années ta place y est faite. Pouvais-je ne pas aimer celle qui depuis si longtemps avait réservé ses affections pour mon fils !…

— Eh ! bien, ajouta gaiement Monsieur Richstone en secouant les mains de son vieil ami vaincu et ébloui : la victoire a été dure ; mais ne t’avais-je pas dit que je viendrais à bout de ton obstination et que j’aurais le dernier mot ?… Qu’en dis-tu Alphée de l’entêtement de Frank Richstone ?

 

Gaston et Marie-Jeanne étaient mariés depuis deux ans. Le festin nuptiale avait eu lieu à Saint-Benoît ; la cérémonie religieuse ayant été célébrée à Saint-Placide par le bon curé Blandin. Côte à côte, agenouillée devant l’autel, Gaston en grande tenue avait serré dans sa main celle de la blanche épousée si patiemment conquise. Cette heure délicieuse, tournant de leur vie, non ils n’estimaient pas l’avoir payée trop cher.

Monsieur de Blamon avait fait le voyage pour servir de témoin avec l’oncle Ludger, à celui qui avait su conquérir une si large place dans son estime et retenir une si grande part dans son amitié.

En termes émus, avant de bénir le couple, le vieux prêtre, avait retracé leur simple histoire embaumée de nobles vertus, louant leur fidélité, leur droiture, leur courage dans les épreuves et les proposant à l’édification de tous.

La fête avait été cordiale et joyeuse. Le visage assombri de Monsieur Chambrun avait retrouvé sa jovialité des beaux jours ; fermant le cortège des conviés, au retour de l’église, il semblait présider à un triomphe.

La journée s’achevant dans les délices d’une intimité toute familiale, Monsieur Richstone convoqua l’assistance pour le lendemain à sa résidence de Lachute. Il avait été à la peine, ne devait-il pas être à l’honneur !

Chacun fut fidèle au rendez-vous assigné. Le père d’Aurélia, qui avait rêvé d’un banquet, fit les choses grandement, ayant voulu les mettre au niveau de son cœur et de sa bourse.

Après avoir dit son bonheur et porté la santé des nouveaux époux, il eut un mot aimable à l’adresse des principaux invités commençant par le bon abbé Blandin. Monsieur de Blamon se leva ensuite. Avec des accents émus et pathétiques, il releva en Gaston les qualités privées du fils aimant et respectueux, l’intégrité consciencieuse de l’ouvrier, la dextérité et le sympathique ascendant du chef, enfin l’héroïsme sublime de l’ami, aux jours du péril.

Puis se tournant vers la jeune mariée, rayonnante de grâce et de joie, dans la blancheur immaculée de sa toilette nuptiale, il la félicita de son bonheur et résuma son éloge par ce mot court mais suggestif : « Vous êtes dignes l’un de l’autre. »

Aux paroles aimables, il sut joindre l’action bienveillante. Pour perpétuer le souvenir du jour heureux conquis de haute lutte, il ouvrit devant elle et lui remit un riche écrin de velours amarante avec monture et fermoir d’argent. Sur un élégant brocart moiré s’étalait une broche en or, ornée de rubis et d’émeraude. Deux dates à jamais mémorables s’y trouvaient gravées avec art : celle de leur mariage, puis celle du dévouement de Gaston lors de l’incendie.

Quant à vous, dit-il en se tournant vers son contre-maître, il ne sera pas dit que la jalousie et la malveillance l’aient emporté sur le mérite et l’équité. Je le sais, vous avez été indignement frustré d’une récompense gagnée au péril de votre vie.

Bien que le dévouement ne puisse s’évaluer au poids de l’or, vous me ferez plaisir en acceptant à nouveau, ces cinq mille piastres en témoignage de ma gratitude et de mon indéfectible attachement.

Mais ici, une protestation aussi véhémente que spontanée jaillit du cœur de Marie-Jeanne, dont la loyauté fut prompte à s’effaroucher. Ce fut alors qu’elle raconta par quel concours de circonstances providentielles, Dieu avait permis le recouvrement de leur créance. Elle n’omit rien de ce qui put intéresser son auditoire, rien, sinon l’abnégation et l’héroïque charité dont elle fit preuve envers le misérable qu’elle ne voulut pas nommer.

Après avoir béni la divine Providence et félicité les heureux bénéficiaires, Monsieur de Blamon ajouta :

— Je maintiens mon offrande et me proclame toujours le débiteur de l’ami que je quitte, mais dont le souvenir ne m’abandonnera jamais.

Le repas terminé, la jeune femme accompagnée de son mari, s’approcha de Monsieur Chambrun. Le visage rayonnant, le cœur ému, celui-ci, largement, leur ouvrit ses bras et dans une commune étreinte les embrassa tendrement, mêlant les larmes de sa joie à celles de ses enfants bien-aimés. Marie-Jeanne cherchant dans son aumônière en retira un pli cacheté, que souriante elle offrit à son beau-père. À voir le ravissement que sa lecture produisit dans l’âme du cultivateur, l’épouse de Gaston expérimenta que le plaisir de donner ne le cède en rien à celui de recevoir. C’était l’acte de cession de tous les biens que Monsieur Chambrun, sous l’empire de la nécessité, avait dû consentir au père d’Aurélia. Par cet écrit, il redevenait maître de sa maison, de sa terre, de l’étang, de l’érablière située à l’extrémité, de toutes les choses en un mot, à l’acquisition desquelles s’était usée sa vie : il lui sembla qu’un sang nouveau coulait dans ses veines et qu’une juvénile ardeur se rallumait dans ses yeux ; c’était le premier cadeau de noces de ses enfants.

La joie de l’heureux père cependant, n’avait pu dissiper un nuage qui faisait tache sur l’azur de son ciel. Mais Monsieur de Blamon ayant su, jusqu’à quel point l’orgueil du père