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GASTON CHAMBRUN

riette imitèrent son exemple et en quelques instants furent au lit, livrant bas et chaussures aux libéralités des visiteurs promis.

Déjà la grande salle commençait à se remplir de parents et de voisins venus pour la veillée, quand Pierre, le puîné de la famille ouvrit brusquement la porte et s’écria tout joyeux :

— Les voici qui arrivent !

D’un même mouvement instinctif, tous les visages se tournèrent vers l’enfant, tandis que des lèvres de Tante Céline s’échappe le : « Dieu soit béni » coutumier aux âmes foncièrement chrétiennes.

Déjà sa lanterne à la main, « l’homme engagé » se préparait à dételer les chevaux, quand une vive protestation du conducteur vint piquer l’attention générale. Entre temps Marie-Jeanne s’était jetée dans les bras de sa tante ; puis, bientôt attendrie par le portrait vivant de sa mère disparue, elle eut mille peines à refouler ses larmes et à maîtriser son émotion.

Se dérobant aux remerciements comme aux pressantes invitations qui lui furent faites, le père Boudreau était reparti en toute hâte, impatient de rejoindre les siens, estimant non sans raison les joies de la famille préférables à toutes celles de l’extérieur.

Avec une franche et cordiale simplicité, la jeune fille salua chacune des personnes de la maisonnée, puis présenta sa fidèle compagne et amie. Alors, moitié souriante, moitié surprise, Tante Céline d’ajouter :

— Nous voici avec deux marraines et sans parrains !…

Jeanne aussitôt excusa l’absence de Monsieur Richstone, fit part de leurs profonds regrets, et à tous, donna l’assurance des plus cordiales sympathies de son généreux protecteur. Ayant mis en relief l’obligation qu’elle avait à sa vaillante amie, elle monta à la chambre où reposaient les enfants. De la main, écartant les blancs rideaux qui voilaient la mignonne tête blonde enfouie dans les dentelles de l’oreiller, discrètement elle déposa un tendre baiser sur le front de celle que bientôt elle nommerait sa « filleule ».

— Cependant, insista le chef de la famille, il nous faut un parrain !

— Un parrain ?… reprit plaisamment Gendron, le plus proche voisin, du deuxième rang, mais voici Lorenzo, voilà Florent Gosselin ; puis l’oncle Pamphile, tous de braves et de beaux hommes, qui seront heureux et fiers de donner le bras à une aussi charmante marraine.

— Votre sentiment n’est pas le sien, répliqua l’oncle Pamphile, comme pour sonder le terrain.

— Eh bien, vous aurez l’occasion d’en faire l’expérience, repartit Jeanne avec finesse aux applaudissements de toute la compagnie.

Et la causerie continua son train : vive, alerte, dans un feu roulant de bons mots, de joyeuses réparties, les francs éclats de rire alternant avec le souvenir attendri des gens et des choses du passé. Mais voici que soudain les cloches s’ébranlent pour annoncer le dernier coup de la messe de minuit. Au dehors l’animation règne partout : les maisons sont éclairées, les chemins remplis du bruit des conversations, du carillonnement des traînes, des joyeux appels des enfants. Puis peu à peu, les lumières s’éteignent, les portes se ferment, la grand’rue redevient silencieuse.

Seule Tante Céline reste à la maison pour garder les enfants et préparer le réveillon, elle a renoncé à la touchante et divine poésie d’une messe de minuit dans nos campagnes laurentiennes. Unie d’esprit et de cœur avec la famille en prière, elle va, diligente et recueillie, préparant les sièges, serrant les meubles pour ménager l’espace, disposant toutes choses sur la grande table qui tout à l’heure en groupant parents et amis va resserrer l’union des âmes dans un commun sentiment de foi et d’amour.

La mère d’Henriette avait prophétisé juste : Marie-Jeanne s’était trouvée de connivence avec Santa Claus pour remplir bas et souliers, de friandises et de joujoux. Il eut été trop cruel d’infliger à la « foi » des chers petits, une déception si amère.

Les cérémonies sacrées touchent à leur fin et lentement la foule compacte et recueillie se disperse, regagnant ses foyers. Avec le flot des fidèles, arrivent jusque sur la place les vieux refrains de Noël, mêlées aux accords de l’orgue, aux parfums de l’encens, aux scintillations des lustres en feu : on dirait un coin du ciel montré à la terre.

Moins d’une demi-heure après « L’Ite, Missa est » de Monsieur le Curé, de quinze à vingt joyeux convives étaient attablés devant le plus succulent et le plus plantureux réveillon qui se puisse voir. Fin cordon-bleu, Tante Céline avait mis son talent culinaire à contribution, pour régaler ses hôtes et fêter la présence de Marie-Jeanne.

Rien ne fit défaut à la fête tout assaisonnée de gaieté et de franche cordialité. Dans ces agapes, vrais festins de famille, où s’alimente l’âme nationale, les heures coulent rapides et inaperçues. Le repas touchait à sa fin lorsque l’ami Gendron se leva avec un clin d’œil significatif : puis de son vêtement tirant un flacon précieux qu’il caressa :

— J’ai cru faire plaisir à la société, dit-il ; j’espère que vous la trouverez de votre goût.

La ronde terminée, il leva son verre :

— À la santé de nos hôtes, de toute la compagnie et spécialement de la belle marraine qui ce soir va rendre tout le monde jaloux de l’oncle Pamphile.

La cérémonie du baptême, en effet n’eut lieu que dans l’après-midi, les vêpres terminées. Cette fête privée et d’un caractère tout intime piqua néanmoins la curiosité, tant l’impression créée par Marie-Jeanne avait été heureuse et remarquée.

Tante Céline fut complimentée de son choix et fière d’une nièce dont chacun se plaisait à faire l’éloge. Le nom de Jeanne fut donné à la filleule et dans son cœur l’heureuse mère pensait :

— Puisse-t-elle imiter sa marraine et me valoir à nouveau le concert de louanges que j’ai entendu aujourd’hui.

Sur le point de quitter Saint-Lazare, Marie-Jeanne sentit un vide dans son âme ; une secrète mélancolie gagna son esprit, vint assombrir son visage si gai d’ordinaire : c’était la nostalgie du pays natal ; l’absence de sa mère surtout lui serra plus fortement le cœur ; et son âme affamée d’affection cherchait un aliment à sa faim. Soudain la lettre de Gaston qu’elle