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GASTON CHAMBRUN

Arrivé au plus fort de la crise, le prêtre avait appris que l’heure n’était plus aux explications décisives qui rallumeraient l’incendie dans les cœurs. Il se chargea lui-même d’aller informer Marie-Jeanne de l’échec de Monsieur Richstone, service dont ce dernier lui fut fort reconnaissant.

— Ayez confiance quand même, lui dit-il en le quittant, les causes des nobles cœurs ne sont jamais désespérées.

Revenu près des parents de Gaston, le prêtre leur parla de leur fils, de sa glorieuse conduite, de l’honneur qui rejaillissait sur eux.

Puis le nom de Marie-Jeanne fut prononcé. Longtemps il s’étendit sur ses mérites, sur l’honorabilité de sa famille, sur la supériorité du patrimoine de vertus, en regard de la dot la plus princière.

Ses paroles se heurtèrent à l’entêtement tenace de l’orgueilleux père, muré dans un mutisme invincible. Craignait-il en parlant de s’avouer vaincu ?… Le curé dut se retirer sans avoir rien obtenu.

Fidèle à sa promesse, tristement il se dirigea vers la demeure où les deux femmes attendaient anxieuses. Il ne put, hélas ! leur donner que de vagues paroles d’espérance dans le Dieu, qui à son gré, peut changer les cœurs les plus endurcis.

Monsieur Chambrun se cantonnait dans son obstination.


XIII

VICISSITUDES


Le soir même des libéralités de Monsieur de Blamon, Gaston Chambrun avait réintégré son humble appartement, le cœur dilaté, l’imagination travaillée de rêves enchanteurs.

La gratification reçue, jointe au montant de ses patientes économies, le ferait possesseur d’un capital, assez modeste encore, il est vrai ; mais suffisant pour constituer la dot de Marie-Jeanne. Il éprouvait une certaine fierté à penser que seule, la valeur personnelle de son épouse décidait de son choix. Par les durs sacrifices d’une fidèle attente, il aurait gagné le droit de s’unir à celle qu’il aimait.

Ce bonheur entrevu comme un éclair, devait être de courte durée. La notable différence que l’on remarqua entre la rémunération du jeune contre-maître, et celle de ses collaborateurs suscita une jalousie qui fut d’autant mieux dissimulée, que ce bas sentiment était moins justifiable. Oubliant l’inégalité des mérites, quelques envieux s’en tinrent à celle de la récompense.

Un conciliabule, animé du même esprit que l’Iscariote au jour de sa trahison, eut lieu nuitamment, le soir même de la rétribution.

Il s’agissait d’aviser aux moyens de dérober l’argent, soit cinq mille piastres, avant que le jeune homme ait eu le temps de le placer à la banque ; d’où la nécessité d’agir au plus tôt. L’agent pour les circonstances fut vite trouvé et les rôles promptement distribués ; puis, en cas d’insuccès, viendrait rejoindre ses deux complices, pour dévaliser Gaston, rentrant pour le dîner.

Celui-ci-ci avait veillé tard et son sommeil avait été court et agité, troublé sans doute par les mêmes craintes et les mêmes soucis qui avaient fait perdre au savetier de la fable « ses chansons et son somme ».

Les appréhensions n’étaient pas vaines. Le trésor avait été serré avec soin, dans un tiroir de la commode. Ayant mis la clef dans sa poche, l’heureux propriétaire devait, dans la soirée du lendemain, aller joindre ce dépôt au montant de ses économies, à la banque d’Hochelaga.

Fidèle comme d’habitude, les sept heures du matin trouvèrent le contre-maître à son poste de service. Gai et affable envers ses hommes, il souriait à un avenir, qui lui apparaissait radieux d’espérances.

Vers les dix heures de la matinée, un homme bien mis, à la chevelure grisonnante, aux moustaches noires et fortes, se présentait devant la maîtresse de pension où Gaston avait son appartement. L’inconnu venait, soi-disant, au nom du contre-maître chercher un rapport oublié par lui et dont l’urgence était extrême. La dame du logis était une personne fort honnête et toute dévouée aux intérêts de ses locataires, qui étaient unanimes à louer sa discrétion non moins que sa diligente propreté. C’est à ce titre qu’elle conservait une clef de chacun des logements ; l’intrus put ainsi pénétrer sans difficulté, dans la chambre de Gaston.

L’honorabilité du nouveau-venu, du reste, ne pouvait être suspectée, car il avait eu la précaution de montrer la clef du tiroir qui, à son dire, lui avait été remise par le jeune homme lui-même. D’un coup d’œil, le malfaiteur eut vite acquis la conviction que le trésor ne pouvait être ailleurs que dans l’armoire.

Il ne devait pas être à son coup d’essai, assurément la même fausse-clef servit pour la commode et le tiroir. Le tout se fit sans effraction et sans bruit : dans l’espace de quelques minutes le forfait fut accompli.

Après avoir salué et remercié poliment la maîtresse de pension, le prétendu commissionnaire disparut pour toujours.

On devine aisément quel fut, au repas du midi, le premier thème de conversation entre l’hôtesse et son client. Mais bientôt la stupeur de Gaston, puis son désespoir furent indicibles ; peu s’en fallût qu’il ne vint à défaillir.

Après un interrogatoire long et circonstancié, avec la maîtresse de pension, il acquit la certitude que le malfaiteur s’était servi d’un déguisement complet, d’où l’impossibilité de l’identification et par suite celle de la restitution.

Prévenu aussitôt, la police fit vainement de minutieuses recherches : elles n’aboutirent qu’à des conjectures sans fondements sérieux.

L’infortuné contre-maître, écrasé sous le coup du malheur, tomba dans une prostration alarmante pour sa santé. C’était l’écroulement subit d’un avenir, qui lui était apparu aussi consolant, qu’il avait été éphémère. Dans sa foi seule, il trouva le courage de la résignation chrétienne. Fondée sur la vertu, marquée du signe de la croix, son alliance avec Marie-Jeanne lui sembla porter le sceau des œuvres divines : celui de la contradiction. Aussi, loin d’ébranler sa résolution, l’épreuve raffermit bientôt sa volonté de vaincre et de remporter un prix si chèrement disputé.

Il n’osa s’ouvrir de son malheur à Monsieur de Blamon, dans la crainte de peiner un bien-