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GASTON CHAMBRUN

— Ce ne sera peut-être pas la meilleure de la journée !

— Que voulez-vous dire ?…

— Rien !… rien !… marmotta le brave homme. Ses yeux pétillaient : il était impatient de jouir du bonheur de ses amies.

— Ce matin, dit-il, j’ai apporté une lecture qui va vous intéresser. Il tendit à la jeune fille le bienheureux journal, en désignant du doigt la photographie de Gaston.

Soudain un cri vibrant d’émotion et d’allégresse retentit :

— Gaston !… Gaston ! Mais, c’est lui !… ajouta la jeune fille. Puis Monsieur de Blamon ?… Quelle physionomie digne et sympathique !

Sur les indications de Monsieur Richstone, à haute voix, elle se mit à lire le récit du dévouement de Gaston.

Dès les premières lignes, ses yeux s’étaient remplis de larmes, mais, arrivée au passage de l’évanouissement du jeune homme, elle dut déposer le journal et raffermir elle-même ses énergies défaillantes. De son côté, la veuve avait peine à maîtriser sa muette admiration. Monsieur Richstone jouissait du spectacle en attendant le moment de la conclusion.

Un nouveau cri plus vibrant que le premier venait de jaillir des lèvres de Marie-Jeanne.

— Ô Maman ! as-tu compris ? Et la jeune fille de répéter :

— Gaston vient de recevoir cinq mille piastres de gratification pour son dévouement !

N’osant croire à tant de bonheur, Mademoiselle Bellaire en pleurs, s’accouda à la table, la tête dans les deux mains.

— Oh !… s’exclama la mère, c’est trop beau !…

— Trop beau ? s’insurgea Monsieur Richstone. Moi, c’est le double que je lui aurais donné !… Et vous ne dites rien ma petite Jeanne ?

Elle tourna vers lui ses yeux illuminés de larmes d’orgueil.

— Voilà la meilleure réponse, approuva le digne homme. S’il vous voyait, notre Gaston se jugerait mieux payé par vos pleurs de joie, que par l’argent lui-même !  !  ! Ne vous avais-je dit à toutes deux que vous seriez fières de lui ?…

— Mais quand pourrais-je l’appeler mon gendre ? soupira Pauline Bellaire.

— Ça ne tardera guère, affirma Monsieur Richstone. De ce pas, je vais traiter la question avec Alphée, et j’espère vous l’amener, faire la demande au nom de son fils.

— Aujourd’hui ?… interrogea Marie-Jeanne, palpitante.

— Sur l’heure même !… Ayez confiance !… À tout à l’heure, mes amies !

Monsieur Richstone s’éloigna de toute la vitesse de sa puissante machine. Les deux femmes demeurèrent émues et silencieuses ; l’assurance de leur médiateur n’arrivait pas, néanmoins, à dominer leur anxiété.

— Mère, dit la jeune fille, je descends à l’église implorer la sainte Vierge pour qu’elle inspire notre ami et touche le cœur de Monsieur Chambrun.

— Va, mon enfant, concéda l’aveugle, Moi aussi je prierai pour toi.

Alphée Chambrun rentrait à la maison quand il aperçut l’automobile devant sa porte.

Que lui voulait encore le riche commerçant ?… Depuis, qu’entre les mains de celui-ci, le père de Gaston avait dû aliéner son bien, il lui semblait que l’autre, en venant dans la maison, faisait acte de propriétaire. L’amour propre d’Alphée en était froissé, bien qu’il sentît l’injustice de tels sentiments envers celui qui, à vrai dire, était son bienfaiteur ; mais sa déchéance l’avait rendu susceptible et ombrageux.

Il hâta le pas et s’arrêta surpris de trouver sa femme tout émue, dans les frais d’une conversation fort animée avec le visiteur.

Intrigué, Alphée dit :

— Que peux-tu raconter à ma femme qui l’agite ainsi ?

— Oh ! s’écria celle-ci, remercie-le, mon ami, il nous annonce un grand bonheur.

— Que dis-tu ? fit Monsieur Chambrun interloqué.

— Lis ! dit sèchement l’Anglais, froissé du ton de son interlocuteur. Et il lui tendit le journal.

Le père eut bientôt, avec un éclair d’orgueil, des larmes dans les yeux.

— Et tu es venu pour nous faire cette communication ?… C’est le geste d’un bon ami cela, et le fait d’un grand cœur. Sois-en remercié !… Excuse-moi si je ne t’ai pas fait meilleur accueil. Le trouble de Julie me faisait augurer de mauvaises nouvelles, d’autant plus que depuis longtemps, je ne connais guère que celles-là !

— En tous cas, en voici une qui rachète bien les autres, dit Monsieur Richstone. Ton fils te fait honneur, Alphée !

— Il me devait bien cela, reprit celui-ci, en compensation du désappointement qu’il m’a causé ; dire qu’il n’a pas voulu être ingénieur ! grommela le père.

— Tu lui en veux encore ?… Eh bien ! tu as la rancune têtue. C’est toi, plutôt, qui lui es redevable.

— Et de quoi, s’il vous plaît ?

— D’abord de l’oubli de tes vieux griefs, puis d’un accueil favorable à la requête que j’ai à te présenter en son nom.

— Ah !… Ah !… nous y voilà, modula ironiquement Monsieur Chambrun. Je me doutais un peu de vos manigances mystérieuses… Eh ! bien, compère, vas-y de ta petite histoire.

Monsieur Richstone secoua la tête.

— Je n’admets pas ce ton persifleur, quand j’ai à te parler sérieusement, Chambrun ! Tu me connais assez, j’espère, pour savoir que je ne suis pas homme à plaider une cause injuste ou futile. Est-ce le retour des preuves d’intérêt et d’amitié que je t’ai données ? et parce que j’étends ces sentiments à ton fils, suis-je donc si blâmable ?

— Ô mon ami, intervint Julie, oublies-tu ce que Monsieur Chambrun a été pour nous ?

— Loin de moi pareille idée, répliqua Alphée. Cependant, de ses titres à notre reconnaissance, il ne peut exiger qu’entre ses mains j’abdique mon autorité paternelle. Je reste chef de famille.

— Ma démarche auprès de toi, est la preuve que ni moi, ni ton fils, ne méconnaissons tes