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GASTON CHAMBRUN

pour la réédification de sa fortune : je doute fort qu’il approuve ton désintéressement d’amoureux, qui lui semblera aussi extraordinaire qu’incompréhensible. Néanmoins, ne t’inquiète pas de la sécurité des tiens ; le contrat que j’ai passé avec eux les met à l’abri du besoin, leur vie durant. J’essayerai à leur inculquer peu à peu ta manière de voir ; surtout ne t’en mêle pas : toute discussion entre vous, envenimerait plutôt les choses.

— Entendu, reprit Gaston. Je remets entre vos mains mon avenir, mon rêve !

— J’aime à croire que tu n’auras pas à t’en repentir, répliqua Monsieur Richstone. Et, maintenant trêve aux soucis, mon garçon. Voici une bonne bouteille, faisons-lui honneur.

Le jeune homme leva son verre et d’une voix pénétrée de gratitude :

— À votre honneur et à celui des vôtres, Monsieur Richstone.

— À la réalisation de ton rêve, mon ami, répondit ce dernier ; et choquant leurs coupes, d’un trait ils les vidèrent.


VII

MISSION DÉLICATE


Le résultat de l’examen ne tarda point à parvenir aux candidats ; Monsieur de Blamon, en dépit des affirmations de son contre-maître, s’était refusé à croire à la possibilité d’un échec ; aussi, cet insuccès fut-il pour lui une véritable déception. Toutes les questions lui paraissaient simples et bien au-dessous des capacités de son subordonné, auquel il avait servi lui-même de répétiteur.

En vain s’informa-t-il des causes de la non-réussite ; le jeune homme sut garder le secret de son renoncement volontaire ; en raison du dévouement de son chef, une question de délicatesse lui en faisait une obligation. D’autre part, n’eût-il pas été imprudent d’appeler encore du nom de fiancée, celle qui lui avait retourné le gage de leurs fiançailles ? et à laquelle il venait d’immoler ses ambitions ? Une autre surprise attendait Monsieur de Blamon, quand il conclut :

— N’importe Gaston ; ce sera l’affaire d’un an, avant de prendre une noble revanche ; et que le contre-maître lui eut répondu :

— Je ne me représenterai pas Monsieur. La leçon que je viens de subir, dissipe le mirage qui m’avait ébloui et me ramène à une vision plus juste de mon avenir. Le nombre des déclassés n’est que trop considérable et je préfère demeurer dans une sphère plus humble, mieux en rapport avec mon éducation, mes aptitudes et ma modeste origine.

Plongeant un regard scrutateur dans les yeux du jeune homme, Monsieur de Blamon lui répondit :

— Mon ami, voici la seconde fois que j’ai l’intuition qu’un drame mystérieux trouble votre conscience et bouleverse vos résolutions : je respecte votre secret, mais je ne doute plus de son existence.

Gaston tressaillit devant la perspicacité de son chef et fut touché de l’intérêt que ce dernier lui portait ; toutefois, il se contenta de répondre respectueusement :

— Vos titres à ma confiance, Monsieur, sont innombrables, mais le secret que vous avez deviné en moi, n’étant pas uniquement le mien, le jour où j’en serai délié, il me fera plaisir de vous en faire l’aveu, en recourant à vos conseils.

Impatiemment, Gaston attendait des nouvelles du pays. D’une part, comment son père accepterait-il la nouvelle de l’échec, et de l’autre, quel résultat avait eu la démarche de Monsieur Richstone auprès de Marie-Jeanne ?…

Le pauvre jeune homme savait qu’il aurait à subir de la part de son père un assaut acharné ; mais n’avait-il pas donné la preuve de sa déférence aux conseils contenus dans la lettre subissant l’examen et en différant son retour au foyer ? Puis, la promesse d’intervention de Monsieur Richstone atténuerait sans doute, peu à peu, le désappointement paternel.

L’autre question le tenait dans une anxiété plus poignante. Marie-Jeanne ne devait-elle pas le juger d’un caractère faible et versatile : ayant eu à douter de lui, sur quelle certitude lui accorder un nouveau crédit, une absolue confiance ?… La veuve Bellaire ne mettrait-elle pas sa fille en garde contre la possibilité d’une nouvelle déception ? La bonne foi ébranlée recouvre-t-elle jamais sa solidité première ?… Gaston le constatait avec désespoir.

Dès son retour à Lachute, Monsieur Richstone avait songé à l’accomplissement de sa promesse. En automobile, la visite au « Val de la Pommeraie » était l’affaire d’une après-midi. Pour plus de sécurité, il s’assura le concours du curé de Saint-Placide.

Sous le sceau du secret, il fit au bon abbé Blandin le récit de son entrevue avec Gaston Chambrun.

Quand il eut achevé :

— Vous êtes un grand cœur, Monsieur, dit le vénérable prêtre : vous savez vous oublier pour le bien des autres. Si tous vos compatriotes étaient animés des mêmes sentiments, notre antagonisme de race aurait vécu. Pour répondre à vos désirs, Monsieur, et vous exprimer mon appréciation sur la famille Bellaire, je n’aurai qu’un mot court mais élogieux : « elle est digne de la vôtre. »

— Vous voulez me flatter, Monsieur le Curé, reprit le père d’Aurélia ; je ne suis qu’un honnête homme : mais de vos paroles, je tire la conclusion que Marie-Jeanne mérite les sacrifices de Gaston Chambrun.

— Oui, elle les mérite, soyez-en sûr, repartit l’abbé.

— Alors, je puis compter sur votre appui, pour m’aider à vaincre l’opposition d’Alphée à ce mariage ?

— Je suis prêt à collaborer à votre œuvre, reprit le prêtre, car elle est bonne.

— Merci ! Monsieur le Curé, repartit l’Anglais. À nous deux, nous serons forts et nous réussirons.

Du presbytère, l’automobile s’était dirigée vers la demeure de Marie-Jeanne.

Somnolente dans sa chaise berceuse placée sur la galerie, la veuve Bellaire, le chapelet sur les genoux, fut soudain tirée de son assoupissement, par le bruit insolite d’une automobile, qui s’arrêta net devant la petite allée du jardin.