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GASTON CHAMBRUN

pour les nôtres au Canada, n’est pas étranger à la conservation de leurs croyances.

Inutile, Messieurs, de répliquer que la foi s’accommode également bien, de n’importe quelle langue. Cela, tous le concèdent ; mais nous n’envisageons pas le problème à ce point de vue ; c’est la lumière de toutes les circonstances de milieu, d’usages, d’influences où il se pose, qu’il faut l’étudier.

Le deuxième motif que nous avons de maintenir la langue française au Canada est : notre intérêt bien entendu.

Étudions, Messieurs, la seconde raison pour laquelle nous devons de tenir au français. L’intérêt, quand il reste dans de justes limites, loin d’être condamnable, va souvent jusqu’à se confondre avec le devoir. Pas plus à Québec qu’en Ontario et au Manitoba, nous n’avons fait pression quelconque pour induire nos concitoyens de langue anglaise à apprendre le français. Ils demeurent libres de se contenter de l’anglais et nous n’avons pas à intervenir. Mais si c’est notre désir d’apprendre deux langues, sommes-nous donc coupables d’un si grand crime ? Et n’avons-nous pas le droit d’exiger qu’on nous laisse cette liberté ? En venant nous dicter ce qui nous convient, veut-on nous donner le rôle de gens irresponsables ? Allons-nous permettre que l’on fasse de nous des êtres inférieurs, diminués ?… Or, c’est ce qui arrivera infailliblement si nous renonçons à notre culture française pour prendre l’autre ; nous perdrons nos qualités ataviques, sans acquérir celles que nous ambitionnons.

Voici, Messieurs, l’opinion d’un célèbre académiste français, qui fait autorité dans la matière :

« — Parlent la même langue, ceux qui ont le même sang, la même histoire, les mêmes mœurs. »

« — Diffèrent par le parler, ceux qui diffèrent par l’origine, par les traditions, par le caractère. »

« Ces dissemblances héréditaires influent sur les sensibilités de l’esprit et du cœur, et la diversité des mots par quoi elles s’expriment. Chaque langue ainsi, sollicite, révèle et consacre le génie d’une race. »

Que ceux donc qui n’acceptent pas d’être des amoindris, des incomplets, cultivent d’abord leur esprit selon la méthode française, puis qu’ils apprennent l’anglais ; mais qu’ils ne s’y trompent pas, un homme de langue anglaise leur sera préféré toujours, excepté là où l’usage des deux langues sera nécessaire ; ils tiendront alors le haut du pavé, car ils sont et seront longtemps peut-être, presque les seuls bilingues véritables.

Cet argument d’intérêt se fortifiera dans la mesure même où grandira notre fierté nationale, qui est le troisième motif qui nous presse de garder le français.

Concluons, Messieurs, en arrivant au côté pratique. Si nous voulons du français au Canada, c’est à nous d’en mettre ; nous le demanderions en vain à la masse de nos concitoyens de langue anglaise. Sans exclusivisme ni étroitesse, nous demandons aux nôtres de se tenir debout, de garder partout une attitude conforme à leur titre de citoyens canadiens-français. Remisons nos grandes déclamations patriotiques si nous n’avons pas le courage de nous montrer patriotes agissants. C’est par l’action ferme et logique, jusque dans les détails, que nous ferons triompher notre cause.

J’ai une lettre à adresser, pourquoi ne pas le faire en français ? vétille diront un grand nombre. Quand la vétille ne sera répétée que dix ou douze millions de fois au cours d’une année, la résultante sera-t-elle vaine ? J’ai à écrire à un ministère du gouvernement fédéral, le français y est officiel ; pourquoi écrivez-vous en anglais ? Vous avez à mettre une enseigne au-dessus de votre porte dans une ville ou village aux trois-quarts de langue française ; allez-vous infliger à votre race une marque d’infériorité et donner aux étrangers l’impression funeste que le français occupe fort peu de place au Canada, ou que l’on n’y tient pas ? Et combien me serait-il facile d’allonger cette énumération de détails pratiques. Pour résumer ma pensée je dirai : Soyons déférents et courtois pour nos compatriotes de langue anglaise, mais devant eux, n’abdiquons aucun de nos droits ; nous y perdrions tout, même l’honneur !


VI

LOYAUTÉ PEU COMMUNE


La rupture produite par le renvoi de l’anneau des fiançailles avait atteint Gaston Chambrun en plein cœur ; la torture morale qui s’ensuivit, le surmenage intellectuel dû à ses études et à ses conférences, le labeur de l’usine sans cesse croissant, eurent bien vite raison de ses forces. Devant l’épuisement, il fallut céder. Un repos complet de plusieurs semaines lui fut imposé par le médecin.

Étant données les situations douloureuses du « Val de la Pommeraie », Gaston ne pouvait songer à aller refaire ses forces au foyer natal. Ne valait-il pas mieux laisser ignorer aux siens, jusqu’à l’existence même de l’indisposition ? Ce fut l’avis de Monsieur de Blamon, qui, tout en maintenant le salaire de son jeune contre-maître, lui prodigua des attentions et des soins vraiment paternels.

Après un mois de repos, Dieu aidant, les forces revinrent peu à peu, et avec elles, la gaieté, l’entrain au travail et la volonté arrêtée du succès.

Intelligent et studieux, le jeune homme, dans un temps relativement court, avait maîtrisé la matière de son programme, au point que son chef d’usine, qui l’avait suivi et aidé, n’entretenait aucun doute sur l’heureuse issue des examens.

Ceux-ci devaient avoir lieu à la mi-septembre. Gaston se rendit à Ottawa aux bureaux du gouvernement fédéral pour y subir les épreuves écrites. Il quittait son champ d’action, confiant dans un succès que lui garantissait son patron. La perspective d’un avenir brillant éclipsait, dans son scintillement les nuages sombres qui planaient sur son cœur ; de cette âme, naguère meurtrie, s’échappaient des désirs de guérison, qui ressemblaient à une convalescence.

Le lendemain de son arrivée à la capitale, Gaston se promenait dans le parc près du Parlement, en attendant l’heure de se présenter à la salle des concours : Soudain, une voix con-