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GASTON CHAMBRUN

Tous les yeux aussitôt se remplirent de larmes et dans le même silence religieux, la jeune fille regagna sa chambre en proie à une indicible émotion.

Une nuit calme et réconfortante rendit à chacun la joie avec l’énergie. Malgré les charmes d’une belle matinée d’été, le retour fut hâtif, en vue de calmer l’inquiétude qu’avait fait naître l’absence de la veille.

Minutieusement informées du tragique accident, non moins que de l’intervention providentielle de Gaston, les deux familles unirent leurs voix et leurs cœurs, pour remercier Dieu de sa protection et bénir le vaillant sauveteur, de son héroïsme aussi généreux que spontané.


IV

FIDÉLITÉ


Les deux semaines de vacances s’étaient évanouies comme un rêve ; aussi, ce ne fut pas sans de poignantes émotions, que Gaston reprit la route de l’Ouest. Dès les premiers jours de rentrée à l’usine, Monsieur de Blamon l’avait rencontré dans l’exercice de ses nouvelles fonctions et, affablement, s’était enquis de son voyage et de la joie que les siens avaient eue à le revoir.

Les travaux agricoles de la bonne saison, secondés par une température humide des plus favorables, avaient provoqué un regain d’activité dans l’établissement. La maison se voyait dans l’impuissance de répondre à toutes les commandes de ses trop nombreux clients. C’est pourquoi le Directeur avait songé à créer un nouveau centre de production à Edmonton, capitale de l’Alberta.

À en croire la rumeur, des gisements importants de phosphate de chaux existaient dans cette région. Avant de prendre une détermination, Monsieur de Blamon résolut de s’enquérir du fait ; par ses soins, une commission composée de l’ingénieur en chef, de deux contre-maîtres et de quelques ouvriers intelligents, fut chargée d’aller opérer le sondage des terrains, dans plusieurs « Townships » des environs. Gaston fut l’un des deux contre-maîtres désignés ; les opérations, pénibles et dispendieuses durèrent trois mois, et obtinrent des résultats plutôt douteux ; mais les pérégrinations dans ces vastes contrées, déjà riches de profits et plus encore d’espérances, agrandirent les horizons du jeune homme, l’enrichirent de connaissances techniques touchant l’exploitation des fermes et fortifièrent en lui cet amour du sol, qu’il avait puisé au pays natal et auquel il avait juré fidélité.

La bonne harmonie, qui jusqu’alors, avait toujours régné entre Monsieur Blamon et ses ouvriers, avait tenu éloignée toute idée de grève ; en vue de maintenir cet esprit de famille, il importait, autant que possible, que les chefs eussent vécu dans le milieu et pussent se recruter parmi l’élite de la population ouvrière ; telle était, du moins, la conception et la pratique de Monsieur le Directeur. C’est pourquoi ce dernier constatant par les rapports, que Gaston lui avait fournis touchant sa mission, qu’il avait sous la main un excellent ingénieur futur lui parla en ces termes :

— Mon ami, avec une vive satisfaction, j’ai parcouru vos rapports relatifs à l’excursion de sondage et par eux, j’en suis arrivé à la conclusion que voici : si, mettant à profit les loisirs que vous laisse votre charge, sérieusement, vous vous appliquez à l’étude, je me fait fort, moyennant les leçons que je m’offre à vous donner, de vous faire obtenir votre diplôme d’ingénieur civil dans l’espace de deux ans. Votre place ici est retenue d’avance ; ensuite, c’est l’affaire d’une nouvelle année de travail soutenu, pour conquérir le titre honorable et lucratif d’ingénieur-chimiste.

Monsieur de Blamon sentait croître ses sympathies pour ce jeune homme, sur lequel il fondait de grandes espérances, outre la communauté de race, de langue et de religion, il trouvait en lui un esprit délié, un caractère loyal et énergique ; c’est pourquoi il eût aimé l’attacher à sa maison et en faire l’un de ses principaux auxiliaires.

Gaston Chambrun fut comme ébloui par l’apparition d’une perspective aussi brillante qu’inattendue ; mais bientôt se ressaisissant :

« — Monsieur le Directeur, objecta-t-il, je ne compte point faire ma carrière de l’emploi que j’occupe. »

Son patron l’interrompit.

— Vous êtes jeune encore ; vous avez du temps devant vous, vos plans d’avenir, sans doute, ne sont point encore fixés définitivement ; vos idées actuelles peuvent être modifiées par les événements ; ne pas saisir l’offre qui vous est faite, c’est peut-être vous préparer d’amers regrets pour un avenir prochain. D’ailleurs, vous avez tout profit à développer, par le travail, votre instruction et votre intelligence, dussiez-vous vous contenter de la position actuelle : l’instruction n’est-elle pas un capital plus sûr que la monnaie sonnante ?

Il était difficile d’échapper à cette argumentation, dont on ne pouvait nier la justesse. Le jeune homme parut se rendre à ces raisons et courageusement se mit à l’étude, mais plutôt pour condescendre aux désirs de Monsieur de Blamon, que dans l’espérance du futur titre d’ingénieur civil. Ce n’est pas que la position ne lui eût souri ; mais elle était contraire à ses projets et la tentation, si séduisante fût-elle, ne pouvait prévaloir contre la sincérité du serment fait à Marie-Jeanne.

Parfaire ses connaissances en agriculture, se constituer un modeste capital et retourner à sa terre natale pour y unir son existence à la fiancée qui l’y attendait, tel était le programme de sa vie et le terme de ses aspirations.

Pour tenir son rang, au contraire, et figurer avec honneur dans la situation qu’on lui offrait, n’ayant pas de fortune personnelle, il eût fallu à sa fiancée, une dot respectable ; d’où, la nécessité de sacrifier à son ambition, l’aimée, mais pauvre Marie-Jeanne ; son âme loyale et sincère serait-elle jamais capable d’une telle félonie ?

Un assaut plus grave allait bouleverser son âme, malgré elle chancelante. De Saint-Benoit, une lettre arriva, qui semblait anéantir à jamais ses rêves d’avenir.

Son père écrivait :

Mon cher enfant,

Tes dernières lettres laissent transparaître ton impatience de rentrer au pays. Ce retour, naguère le plus cher objet de nos désirs, serait aujourd’hui une faute, que je ne puis te