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GASTON CHAMBRUN

vôtres, pour demander à Dieu qu’il épargne votre mère.

Gaston, avec complaisance contemplait Marie-Jeanne, et la jeune fille, en dépit de ses inquiétudes filiales, tout en écoutant respectueusement son pasteur, glissait souvent ses regards vers le jeune homme, qui en avait le cœur doucement réchauffé.

L’abbé Blandin, maintenant, complimentait ses visiteurs.

— Je suis touché de votre démarche, dit-il, et avec vous, Monsieur Chambrun, je suis fier du succès de votre fils. Dieu vous récompense, mon cher Alphée ; ceci est déjà un acompte sur le prix des sacrifices que vous a coûtés son éducation.

Puis s’adressant à Gaston :

— Continue, mon cher ami, à marcher dans la bonne voie où tu es entré ; profite de ta situation pour t’instruire des questions économiques et pour te bien renseigner sur les conditions agricoles, qui conviennent à notre province ; tu nous reviendras ensuite, afin de faire bénéficier la région, du fruit de ton expérience ; ce qui manque à notre agriculture, c’est une classe dirigeante instruite et patriote : tant vaut l’homme, tant vaut la terre ; le jour, où celle-ci fournira des salaires au moins équivalents à ceux des villes, nos jeunes gens s’y attacheront davantage. Oui, gardons le sol ; à son tour, il nous gardera fidèles et loyaux à notre race, à notre langue et à notre foi. Depuis ton départ, tu sais sans doute, qu’ici tout près de nous, à Carillon, on a érigé à la vaillance française le monument « Dollard ». Aujourd’hui, l’ennemi a changé de nom ; mais son but est demeuré le même : ruiner la colonie catholique et française. Déjà pour faire face à l’adversaire sur ce double terrain, sous les initiales A. C. J. C., de jeunes légions fourbissent leurs armes et organisent leurs bataillons ; mais il leur faut des cadres : une armée vaut surtout par ses officiers ; tu seras un de ses chefs nous l’espérons.

L’abbé Blandin s’arrêta court :

— Ne voilà-t-il pas, dit-il en riant, que je m’oublie à te faire un sermon !… Que veux-tu, un effet de l’habitude ; et puis, il est si facile comme dit le poète, d’exprimer ce que l’on conçoit bien…

Marie-Jeanne avait pris congé du prêtre et de ses hôtes. Elle regagnait le logis où l’attendait sa mère, l’âme rêveuse, le cœur gonflé, tel un bouton de rose qui s’ouvre au baiser du soleil. Sa marche accélérée, dans le Val découvert, se ralentit sous le mystère protecteur des grands pins et des érables touffus. L’hélianthe, parmi la spirée et les verges d’or précoces, ajoutait son charme à la poésie du frais et verdoyant décor. La calme et innocente tendresse, que son âme virginale gardait à son camarade d’enfance, et qui durant l’année d’absence sommeillait en elle comme dans un nid, telle une couvée qui tarde à éclore, s’éveillait brusquement. Son jeune cœur battait des ailes, souriant à la vie, prêt à prendre son essor !

Gaston !… ce nom fleurissait sur ses lèvres, s’y attachait avec l’obstination de l’abeille à la corolle du lis. Le soleil déclinant à l’horizon, à la chaleur intense de cette journée, succédait peu à peu, une brise légère et caressante. Passant près de la fontaine Sainte-Luce, sertie au flanc d’un rocher, que les eaux ont perforé en formant de joyeuses cascatelles, la jeune fille voulut s’y rafraîchir et prendre un peu de repos. Ses doigts, distraitement effeuillaient quelques fleurs cueillies au bord du chemin, tandis que dans sa pensée, se ranimait la vision du sourire et du regard, par laquelle Gaston Chambrun lui avait affirmé sa tendresse inaltérée par l’absence et inaltérable dans l’avenir. Non sans peine, Marie-Jeanne comprima l’émotion que dans sa poitrine ce souvenir avait provoqué. Tout à l’objet de son affection, elle s’assit bouleversée. La tête appuyée à un bouleau pour dossier, elle laissa le trop plein de son bonheur jaillir en larmes heureuses et brûlantes…

Un pas lointain s’éveilla sur les pierres du chemin, grandit, puis s’amortit soudain dans les feuilles et les mousses du sentier ; alors il s’arrêta. Au travers de ses larmes, la jeune couturière vit devant elle, vivre son rêve. Gaston se penchait vers elle anxieux !

Obligé de rentrer à bonne heure, pour aller au pré Lachaut, traire les vaches laitières, Monsieur Chambrun avait laissé son fils disposer de son après-midi pour ses visites, en ne lui fixant d’autres limites que sept heures, pour le souper de famille. La délibération ne fut pas de longue durée : à peine eut-il salué son père, que le jeune homme suivait le chemin qui conduit à la demeure de Marie-Jeanne. Et voilà qu’il venait de la surprendre toute en pleurs…

Quelle était la cause de ses larmes ?… La jeune fille lut la question dans les yeux de Gaston, secoua le front et pour démentir toute alarme, laissa ses lèvres s’épanouir dans un rayonnant sourire.

— Oh ! murmura-t-elle, c’est de joie !… je suis trop contente !…

À son tour, l’ami avait senti ses prunelles se noyer d’émotion et d’allégresse… Tous deux s’étaient compris. Silencieux et comme religieusement, il mit un genoux à terre et prit la main de Marie-Jeanne. Alors, de son écrin retirant le précieux gage, il glissa à l’annulaire de la jeune fille le cercle d’or qui les fiançait.

Cette preuve, de la pensée fidèle de Gaston, combla Marie-Jeanne d’une joie infinie.

— Ô Gaston ! soupira-t-elle…

— Ma bonne Jeanne !

Leurs mains étaient restées unies. Sur le front rougissant de sa fiancée, le jeune homme déposa un chaste baiser comme consécration de leur promesse réciproque.

« Tu m’attendras », murmura-t-il.

Elle répondit simplement : « Oui ! »

À pas lents, tous deux s’étaient remis en route, appuyés au bras l’un de l’autre ; ils allaient silencieusement savourant l’heure exquise des fiançailles. C’étaient leurs premiers pas à deux dans le chemin de leur avenir, désormais commun ; soutenus par la confiance de leur mutuelle fidélité, ils se sentaient forts, sûrs d’eux-mêmes et unis par un amour, que la mort serait impuissante à rompre.

À la porte de sa demeure, Marie-Jeanne, quittant le bras de son ami, voulut reprendre sa liberté. Gaston s’y opposa : du geste et du regard il sut rassurer sa compagne. Ensemble,