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Cette campagne fut la dernière grande expédition dirigée contre les Hiong-nou ; dans la suite, plusieurs généraux les attaquèrent avec des succès divers, mais aucun d’eux n’eut sous ses ordres une armée aussi nombreuse que celles de Wei Ts’ing et de Houo K’iu-p’ing. Ce fut, à vrai dire, le triomphe remporté en l’an 119 qui assura aux Chinois une supériorité marquée sur leurs adversaires. Malgré les échecs qu’ils essuyèrent quelquefois dans la suite, ils acquirent en cette occasion un prestige qui devait durer longtemps.

Si les troupes impériales eurent souvent quelque difficulté à vaincre les Hiong-nou, c’est qu’elles avaient affaire à un adversaire qui, non seulement était brave de nature, mais encore avait appris leur propre tactique. Les peines édictées contre les généraux chinois qui s’étaient laissés battre étaient si sévères que plusieurs d’entre eux préférèrent se rendre à l’ennemi plutôt que de retourner à la cour avouer leur défaite ; ce furent ces transfuges qui initièrent les Hiong-nou à la stratégie savante. Tchao Sin en l’an 123, Tchao P’o-nou en 103, Li Ling en 99, Li Koang-li en 90 firent ainsi défection à leur patrie, les uns pour toujours, les autres pour un temps plus ou moins long. Quelle indignation excitaient en Chine ces trahisons, c’est ce que Se-ma Ts’ien apprit à ses dépens, lorsqu’il voulut défendre Li Ling.

En définitive, l’empereur Ou combattit pendant tout son règne contre les Hiong-nou, sans parvenir à les soumettre complètement ; le dangereux ennemi que ses prédécesseurs avaient déjà affronté inquiétera encore ses descendants pendant de nombreuses années. Cette lutte n’est d’ailleurs qu’un épisode du grand drame qui domine toute l’histoire de l’empire du Milieu ; avec des alternatives de succès et de revers, la Chine n’a pas cessé, pendant sa longue existence, de combattre les nomades du nord ; la conquête des Mongols au XIIIe siècle, celle des Mandchous au XVIIe peuvent nous apprendre ce que serait devenue la patrie de Se-ma Ts’ien si les Hiong-nou avaient remporté l’avantage. L’historien a eu conscience de la gravité du péril auquel résistaient