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des Changements ou I king) ; K’ong-tse, quand il fut en danger dans les pays de Tch’en et de Ts’ai, composa le Tch’oen ts’ieou ; K’iu Yuen, quand il fut exilé et chassé, écrivit le Li sao ; Tso K’ieou, quand il eut perdu la vue, produisit le Kouo yu ; Suen-tse, quand on lui eut coupé les pieds, disserta sur les lois de la guerre ; (Lu) Pou-wei, quand il eut été banni dans le pays de Chou, transmit à la postérité le Lu lan ; Han Fei, quand il était retenu prisonnier dans le pays de T’sin, écrivit les « Difficultés de conseiller » et l’« Indignation de l’orphelin » ; l’occasion qui a fait naître les trois cents poésies du livre de Vers a été le plus souvent l’indignation des sages. Ces hommes avaient tous quelque chagrin au coeur et, ne parvenant pas à suivre la voie qu’ils s’étaient tracée, ils dissertèrent sur les choses passées pour manifester leur pensée à la postérité. C’est pourquoi je me décide à écrire le récit des événements LVIII-1 ... »

Entre tous les genres littéraires, l’histoire, non seulement est capable d’assurer à son auteur une renommée impérissable, mais encore elle est la grande distributrice d’équité qui rend à chacun le rang qui lui était dû. Si le monde insulte souvent à la franchise désintéressée et au vrai patriotisme, si une noble action est parfois méconnue, c’est au sage qu’il appartient de réparer les injustices du sort en donnant à l’homme de bien la récompense inappréciable de son éloge. L’histoire arrache à l’oubli ceux qui se sont distingués parmi leurs contemporains ; elle est la renommée qui se perpétue à travers les âges ; elle a donc une noble tâche, car elle est l’avocat du bien dans l’humanité : « Je suis venu au secours, dit Se-ma Ts’ien, des vertus extraordinaires et je ne me suis pas permis de perdre une seule occasion ; j’ai élevé haut le mérite et la gloire dans l’empire en écrivant les soixante-dix monographies LVIII-2

Cette conception de l’histoire était nouvelle en Chine


LVIII-1. Mémoires historiques, chap. CXXX, p. 5 v°.— C’est ce passage de l’autobiographie qui se trouve reproduit dans la lettre à Jen Ngan.

LVIII-2. Mémoires historiques, chap. CXXX, p, 13 r°.