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de cela leur royauté LVI-1. » De tels exemples ne font-ils pas douter qu’il y ait une Providence ? « On dit : La Providence n’est pas partiale ; elle est toujours avec l’homme de bien. Mais, s’il en est ainsi, Po I et Chou Ts’i pourront-ils ou non être appelés des hommes de bien ? Nous avons vu combien grande fut leur bonté, combien juste fut leur conduite et cependant ils moururent de faim... J’en suis fort troublé et je me prends à douter si ce qu’on appelle la Providence existe ou non LVI-2. »

Une autre monographie où se trouve aussi quelques accents personnels est celle que Se-ma Ts’ien a consacrée au poète K’iu Yuen, l’auteur du Li sao. Ce fidèle ministre de Hoai, roi de Tch’ou, fut méconnu par son prince et se noya de désespoir. C’est un grand défaut chez les souverains de ne pas savoir distinguer ceux qui leur donnent des conseils sincères : « Un souverain, qu’il soit sot ou intelligent, vertueux ou indigne, ne peut pas ne pas désirer trouver un homme fidèle pour l’employer, un sage pour en faire son aide. Cependant les pertes de royaumes et les destructions de familles se succèdent sans interruption : qu’il y ait eu des princes excellents pour gouverner un état pendant plusieurs générations, on n’en voit aucun exemple. C’est que ceux qui sont appelés fidèles par le prince ne sont pas fidèles, ceux qui sont sages à ses yeux ne sont pas sages LVI-3. »

Se-ma Ts’ien énonce de nouveau cette idée en faisant allusion à lui-même d’une manière plus directe encore à la fin de son chapitre sur les Hiong-nou : « Dans ce que notre génération a coutume de dire des Hiong-nou, je m’afflige de cette recherche de la faveur d’un temps, de ce souci de flatter pour faire bien recevoir un avis, de ce subterfuge avantageux qui consiste à ne montrer que le côté favorable des choses sans entrer dans le détail... Si on veut faire prospérer un sage gouvernement, on n’y


LVI-1. Mémoires historiques, chap. CXXIV, p. 1 v°.

LVI-2. Mémoires historiques, chap. LXI, p. 2 r° et v°.

LVI-3. Mémoires historiques, chap. LXXXIV, p. 2 r°.