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les honnêtes gens qui redoutaient leurs procédés de bandits. Se-ma Ts’ien au contraire leur consacre un chapitre où il parle d’eux en termes admiratifs. La justice des hommes n’est pas toujours sûre et il est tel redresseur de torts qui y voit plus clair par sa propre conscience que les juristes avec leurs codes. Comme les paysans de la Corse estiment encore un brigand qui vit caché dans le maquis après avoir assouvi une vendetta sanglante, ainsi Se-ma Ts’ien approuve des hommes qui étaient mis au ban de la société régulière.

Ces passages ont fort scandalisé les Confucéens qui font profession d’estimer plus la vertu que l’argent et qui regardent la justice comme le principe de toute excellence. Pan Piao dit de Se-ma Ts’ien : « Il parle des gens qui font le commerce et s’enrichissent ; aussi méprise-t-il la bonté et la justice et insulte-t-il ceux qui sont pauvres et sans ressources ; il disserte sur les gens d’entreprise ; aussi fait-il peu de cas de ceux qui observent les règles et loue-t-il une hardiesse vulgaire. Ces grands défauts qu’il a manifestés ont blessé la droite raison et c’est pourquoi il a malheureusement encouru le plus sévère des châtiments LV-1. »

Se-ma Ts’ien parle souvent aussi de l’inutilité de la franchise et de l’héroïsme et il est bien probable qu’il faisait alors un triste retour sur sa propre destinée. La première de ses monographies, celle qu’il a mise à la place d’honneur en tête de toutes les autres, rappelle le souvenir de deux fidèles sujets de la dynastie Chang ; ils refusèrent de reconnaître le roi Ou, fondateur de la nouvelle dynastie des Tcheou, et pour ne rien accepter du maître dont ils contestaient la légitimité, ils se retirèrent sur une montagne où ils finirent par mourir de faim. Ce fut un dévoûment sans résultat : « Po I, par haine des Tcheou, mourut de faim sur la montagne Cheou-yang ; cependant ni Wen-wang ni Ou-wang ne perdirent à cause


LV-1. Cf, l’Appendice II. Les chapitres de Se-ma Ts’ien auxquels Pan Piao fait ici allusion sont les chapitres CXXIV et CXXIX.