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mouvement. Le prince Li ne tarda pas à être arrêté ; il fut mis à mort avec tous ses partisans. Quelque temps plus tard cependant une réaction se produisit : les ennemis de l’héritier présomptif furent taxés d’imposture et on les fit périr ; c’est ainsi qu’une sanglante tragédie assombrit les dernières années de l’empereur Ou.

Dès que le prince Li eut été saisi, on s’empara aussi de Jen Ngan dont l’attitude avait paru louche ; il s’était manifestement tenu sur la réserve pour voir qui l’emporterait de l’empereur ou de son fils et se ranger au parti du plus fort ; il fut donc jeté en prison ; pendant que son procès s’instruisait, il écrivit à Se-ma Ts’ien, pour le prier d’intercéder en sa faveur. C’est la réponse du grand historien qui nous a été conservée.

Il est assez difficile de démêler quel est le sens de cette lettre ; il est certain qu’elle exprime un refus ; dès le début, Se-ma Ts’ien expose que sa condition d’eunuque l’a rendu méprisable aux yeux de tous ; il ne saurait donc avoir assez d’autorité pour exercer quelque influence sur l’empereur et pour sauver son ami. Mais, après cet exorde, il ne dit plus un mot de Jen Ngan et ne parle que de lui-même ; il commence par montrer toute l’ignominie dont l’a couvert sa condamnation ; il raconte la reddition de Li Ling et les circonstances qui l’impliquèrent lui-même dans son crime ; le reste de la lettre est consacré à expliquer pourquoi il ne se tua pas, échappant ainsi par un noble trépas à la honte qui l’attendait ; le seul motif qui le retint fut le désir de terminer son histoire commencée et l’espoir de gagner ainsi auprès de la postérité une gloire qui compenserait tous les affronts qu’il pourrait subir de son vivant. La thèse est intéressante, mais pourquoi la développer à un malheureux prisonnier qui attend avec anxiété son arrêt ? Les subtilités de la rhétorique chinoise nous paraissent autoriser la réponse suivante : Se-ma Ts’ien invoque son propre exemple pour prouver à Jen Ngan qu’il ne saurait se soustraire au châtiment ; il lui fait voir qu’en se tuant de sa propre main il évitera les humiliations qui le menacent ; si cette lettre a une portée pratique véritable, ce ne peut être que celle d’inviter Jen Ngan