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parmi les cours d’eau et les marais ; [il y eut un vent violent, du tonnerre et de la pluie,] mais Choen poursuivit sa route [sans se laisser troubler [1].]

Yao estima cette conduite sage ; il manda Choen et lui dit :

— Les entreprises que vous avez projetées ont abouti ; vos paroles ont pu produire des œuvres méritoires ; voici la troisième année[2]. Montez à la dignité d’empereur.

Choen s’excusa en alléguant son peu de mérite et ne se réjouit pas[3].

Le premier jour du premier mois, Choen reçut l’abdication (de Yao) dans le (temple de) Wen-tsou.] Wen-tsou était l’aïeul à la cinquième génération de Yao[4].

  1. Le texte de Se-ma Ts’ien est ici beaucoup plus clair que celui du Chou king et ne laisse aucun doute sur le sens de la phrase ; dans le Chou king, la concision est telle que le pseudo K’ong Ngan-kouo a pu en donner l’interprétation suivante : « Le vent violent, le tonnerre et la pluie ne troublèrent pas », c’est-à-dire que, grâce au bon gouvernement de Choen, tout les phénomènes naturels se passèrent avec ordre. Mais le sens indiqué par Se-ma Ts’ien est le plus simple et le plus évident,
  2. Dès le premier examen triennal (cf. p. 51, n. 3), Choen est jugé digne d’exercer par procuration le gouvernement.
  3. C’est-à-dire que, ne se sentant pas capable de supporter le fardeau de l’État, Choen ne fut pas heureux d’entendre la proposition de Yao. Le texte antique, adopté par le Chou king traditionnel, écrit [] il ne succéda pas, il ne voulut pas succéder. — Ce qui suit montre d’ailleurs que Choen ne persista pas dans son refus.
  4. Dans cette phrase, ajoutée au texte du Chou king, Se-ma Ts’ien nous donne son avis sur le sens très controversé de l’expression Wen-tsou. Wen-tsou — l’aïeul parfait, semble bien en tous cas être un ancêtre de Yao et c’est ainsi que le culte des ancêtres est la plus ancienne manifestation religieuse de l’esprit chinois. — La glose de Se-ma Ts’ien implique une théorie quinaire que la doctrine des cinq éléments avait mise en vogue à son époque, mais qui paraît bien postérieure à l’âge du Yao tien. En effet, si Wen-tsou est l’aïeul à la cinquième génération, il faut de nécessité qu’à côté de son temple se soient trouvés les quatre temples du trisaïeul, du bisaïeul, de l’aïeul et du père (cf. Wang Koang-lou, dans H. T. K. K., ch. CCCCIV, p. 32 r°). Mais le trisaïeul de Yao est Hoang-ti qui passe pour le premier des souverains ; l’aïeul à la cinquième génération ne peut donc être que le ciel qui seul régna avant Hoang-ti ; c’est le ciel qui serait l’ancêtre accompli, suivant Ma Yong. Nous ne craindrions pas, pour notre part, d’accepter cette interprétation qui montre bien comment le culte des ancêtres, fondement premier de la religion chinoise, se rattache par des gradations insensibles à l’adoration des forces naturelles. Le ciel est imposant par son immensité, mais si on le vénère, c’est parce qu’il est regardé comme le premier ancêtre, et cela non pas au figuré, mais au sens propre, car il est lui-même un souverain mort ou peut-être la réunion de toutes les âmes des souverains morts. Le commentateur Tchang Cheou-kié explique d’une manière différente le terme Wen-tsou dans lequel il veut voir non pas le nom d’un personnage, mais celui d’un temple. Quoique sa note se fonde sur la théorie des cinq empereurs d’en haut qui ne date guère que de l’époque des Han et ne saurait expliquer les anciennes conceptions théologiques chinoises, elle mérite d’être citée à cause des renseignements curieux qu’elle nous donne sur les cinq empereurs : « L’ouvrage intitulé : Chang chou ti ming yen dit : Les empereurs continuent le ciel : on leur élève des palais pour vénérer les diverses formes que prend le ciel. Les cinq palais au temps de Yao et de Choen étaient appelés les cinq palais ; sous les Hia on les appelait les maisons des générations ; sous les Yn, on les appelait les habitations diverses ; sous les Tcheou, on les appelait la salle de la distinction.Tous ces édifices étaient les lieux où on sacrifiait aux cinq empereurs. Pour ce qui est du terme Wen-tsou, le nom du palais de l’empereur rouge, Piao-nou, est Wen-tsou ; l’essence du feu est l’éclat et la clarté ; c’est l’ancêtre de ce qui est parfait et manifeste ; c’est pourquoi on appelle (ce palais) Wen-tsou, l’aïeul parfait ; sous les Tcheou, le nom en fut Ming-t’ang (salle de la distinction). Pour ce qui est de Chen-teou le nom du palais de l’empereur jaune, Han-tch’eou-nieou, est Chen-teou ; teou signifie « présider » ; l’essence de la terre est pure et calme : elle préside aux quatre autres éléments, c’est pourquoi on appelle (ce palais) Chen teou (le président saint) ; sous les Tcheou on l’appelait T’ai che (grande maison). Pour ce qui est de Hien-ki, le nom du palais de l’empereur blanc, Tchao-kiu, est Hien-ki ; ki signifie régler ; l’essence du métal coupe et tranche toutes choses ; c’est pourquoi on appelle (ce palais) Hien-ki (la règle manifeste) ; sous les Tcheou, on l’appelait Tsong-tchang. Pour ce qui est de Hiuen-kiu, le nom du palais de l’empereur noir, Koang-ki, est Hiuen-kiu ; kiu signifie règle ; l’essence de l’eau est sombre et obscure, elle peut peser le léger et le lourd ; c’est pourquoi on appelle (ce palais) Hiuen kiu (la règle sombre) ; sous les Tcheou on l’appelait Hiuen-t’ang (la salle sombre). Pour ce qui est de Ling-fou, le nom du palais de l’empereur vert, Ling-wei-yang, est Ling-fou ; sous les Tcheou on l’appelait Ts’ing-yang (principe yang vert). » — Le sens des noms attribués ici aux cinq empereurs est fort obscur ; Chalmers (prolég. au Chou king de Legge, p. 97) croit que ce sont des mots d’origine étrangère transcrits en chinois. Il ne semble pas cependant que tel soit le cas pour tous ces noms sans exception ; ainsi l’empereur rouge qui préside au feu s’appelle Piao-nou et ces deux mots signifient : « flamme qui s’élève, s’élancer ».