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connaître les bienfaits impériaux ; quoiqu’il se fût mis dans une situation désespérée, la gloire qu’il avait eue auparavant en repoussant et en écrasant les Hiong-nou était suffisante pour resplendir sur tout l’empire. Telles étaient les pensées que j’avais dans mon coeur et que je désirais exposer ; mais je n’en avais pas encore trouvé le moyen. Précisément alors je fus mandé et interrogé par l’empereur. J’en profitai pour indiquer ma manière de voir en faisant valoir les mérites de Li Ling. Je voulais ainsi élargir les vues du souverain et m’opposer aux discours des calomniateurs ; mais je ne parvins pas à bien faire connaître ma pensée ; notre illustre souverain ne me comprit pas complètement; il crut que je voulais nuire au maréchal du Eul-che CCXXXII-1 et que je me conduisais comme un sophiste CCXXXII-2 pour sauver Li Ling. Il me déféra donc aux tribunaux. Quoique je me fusse toujours appliqué avec la dernière énergie à être fidèle, je ne pus pas en définitive exposer ce que j’étais. On se décida à suivre la sentence des juges qui me déclarèrent coupable d’avoir trompé l’empereur.

Ma famille étant pauvre, mes ressources ne furent pas suffisantes pour me racheter. Mes amis ne me secoururent pas. Dans l’entourage de l’empereur, soit parmi ses parents, soit parmi les officiers qui l’approchèrent, il ne s’éleva pas une seule voix en ma faveur. Si un homme n’est pas en bois ou en pierre, peut-il faire cause commune avec les bourreaux pour en précipiter un autre dans les ténèbres de la prison ? Qui consentira à se faire accusateur ? Vous avez été, Chao-k’ing, témoin en personne de ces événements ; la manière dont je me suis conduit a-t-elle été fautive ?

Li Ling, en se livrant vivant (aux Hiong-nou), a fait tomber la renommée de sa famille CCXXXII-3. Mais moi, j’ai en outre été jeté dans la chambre où on élève les vers à soie CCXXXII-4 ; je suis devenu un grand sujet de risée aux yeux de l’empire. Que cela est triste ! que cela est triste !

Il n’est pas facile d’expliquer cette affaire point par point à des gens du vulgaire. Mon père n’a point eu les honneurs du sceau divisé et du livre rouge CCXXXII-5 ; c’était un clerc qui s’occupait des étoiles et du calendrier ;


CCXXXII-1. Li Koang-li, frère aîné de la concubine Li.

CCXXXII-2. Proprement : comme un discoureur qui voyage. Cf. p. CLI-CLII.

CCXXXII-3. Li Ling était petit-fils du général Li Koang. La gloire militaire était de tradition dans cette famille.

CCXXXII-4. On enfermait les eunuques dans une chambre tiède analogue aux magnaneries pendant le temps que durait leur guérison.

CCXXXII-5. Le sceau divisé et le livre rouge étaient les insignes qu’on conférait sous les Han aux fonctionnaires investis d’une autorité réelle.