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Les barbares ne suffisaient pas à la tâche de chercher leurs morts et de secourir leurs blessés. Les chefs de ceux qui portent des vêtements de fourrure étaient tous saisis de frayeur. Alors ils appelèrent leurs rois sages de droite et de gauche qui mirent sur pied tous les hommes capables de bander l’arc. Le royaume entier se réunit pour attaquer et cerner (les Chinois) ; ceux-ci firent mille li tout en se retournant pour combattre ; leurs flèches s’épuisèrent ; ils perdirent leur chemin ; les troupes de renfort n’arrivaient pas. Officiers et soldats, morts et blessés s’entassaient les uns sur les autres. Cependant Li Ling poussa un grand cri et il n’y eut pas un seul de ces guerriers épuisés qui ne se levât ; lui-même alors versa des larmes ; mais eux étanchèrent leur sang et burent leurs pleurs et, brandissant maintenant leurs arcs inutiles CCXXXI-1, ils bravaient les épées nues. Faisant face au nord, ils rivalisaient entre eux pour combattre jusqu’à la mort.

Au temps où Li Ling n’était pas dans cette situation désespérée, il. avait envoyé un messager CCXXXI-2 qui était venu faire son rapport (à l’empereur) ; alors les ducs et les hauts dignitaires de la cour, les rois et les marquis avaient tous offert des coupes de vin à l’empereur en le félicitant. Plusieurs jours après, la défaite de Li Ling fut connue par lettre ; c’est pourquoi le souverain ne trouva plus un goût agréable aux aliments ; il ne prit plus plaisir à donner audience à la cour ; les principaux fonctionnaires étaient saisis de tristesse et de crainte et ne savaient quel parti prendre.

Pour moi, je ne songeai pas à l’humilité de ma propre condition, et, voyant le souverain en proie à l’affliction, à l’angoisse, à la crainte et à la tristesse, je voulus vraiment lui exprimer l’opinion ignorante que m’inspirait ma sincérité. J’estimais que Li Ling avait toujours, dans ses relations avec les fonctionnaires et les grands officiers, renoncé aux choses agréables et pris pour lui la petite part ; il avait su faire preuve d’une vaillance qui affrontait la mort ; même parmi les généraux d’ancienne renommée, aucun n’était plus grand que lui ; quoiqu’il eût été abattu et défait, il fallait considérer son intention CCXXXI-3 ; sans doute il désirait obtenir un succès capable de racheter sa faute afin de


CCXXXI-1. Leurs arcs étaient inutiles, puisqu’ils n’avaient plus de flèches : le Wen siuen écrit : brandissant leurs poings.

CCXXXI-2. Ce messager s’appelait Tch’en Ché-yue 陳步樂 .

CCXXXI-3. C’est-à-dire quelle avait été son intention secrète lorsqu’il s’était rendu aux Hiong-nou.