Page:Sima qian chavannes memoires historiques v1.djvu/245

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de même je rompis toute relation avec mes amis et j’oubliai ma famille, car jour et nuit je ne pensais qu’à employer jusqu’au bout mes indignes capacités et j’appliquais tout mon coeur m’acquitter de ma charge afin de mériter les bonnes grâces du souverain. Mais, au milieu de mon entreprise, je commis une grande erreur qui m’empêcha de réussir.

Li Ling et moi, nous nous trouvions tous deux demeurer dans le palais ; nous n’avions point l’habitude d’entretenir des relations d’amitié ; des routes différentes devaient nous mener à notre but ou à un échec CCXXX-1. Nous n’avions point porté à nos lèvres une coupe de vin ; nous ne nous étions point liés dans des réjouissances très vives. Cependant je remarquai que c’était un homme qui, dans sa conduite personnelle, avait des qualités éminentes ; il servait ses parents avec piété ; il était d’un commerce sûr avec ses collègues. Dans les affaires d’argent il était désintéressé ; il prenait et donnait avec justice. Dans les rapports hiérarchiques il était plein de déférence ; il était respectueux, modeste et se soumettait aux autres.

Il était toujours plein d’ardeur et ne se souciait pas de sa propre personne pour se porter là où l’état était menacé. Telles étaient les dispositions qu’il entretenait sans cesse. Pour moi, je pensais qu’il avait le génie d’un homme qui serait capable de diriger un royaume ; en effet, qu’un citoyen s’expose à dix mille morts sans s’inquiéter de son unique vie, afin de s’élancer là où il y a un danger public, c’est ce qui est sublime. Maintenant, au milieu de sa carrière, il commit une erreur. Aussitôt ceux qui savent bien mettre à l’abri leur personne et protéger leurs femmes et leurs enfants s’entremirent pour faire fermenter cette faute. J’en fus sincèrement affligé dans mon coeur.

Li Ling, emmenant avec lui cinq mille fantassins à peine, s’avança profondément dans le territoire des guerriers et des chevaux CCXXX-2 et ses pas se portèrent jusqu’à la cour royale CCXXX-3. C’était tendre un appât à la gueule du tigre, provoquer d’une manière déraisonnable les violents barbares, monter vers les guerriers qui se chiffrent par myriades et par millions. Il combattit contre le chen-yu pendant plus de dix jours consécutifs. Ses gens tuèrent plus d’ennemis qu’ils n’étaient nombreux.

incompatibles. De même servir le souverain et s’occuper de sa famille.

CCXXX-1. Li Ling était un officier militaire et Se-ma Ts’ien un fonctionnaire civil.

CCXXX-2. Le territoire des Hiong-nou.

CCXXX-3. La cour du chen-yu.