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art chez les Grecs et les Romains, l’histoire n’en a pas moins toujours été pour nous une oeuvre éminemment personnelle où l’esprit d’un seul homme repense tous les documents, les coordonne suivant sa manière de voir, les explique d’après ses « idées de derrière la tête ».

Les Chinois n’ont pas la même conception de l’histoire ; elle est, pour eux, une mosaïque habile où les écrits des âges précédents sont placés les uns à côté des autres, l’auteur n’intervenant que par la sélection qu’il fait entre ces textes et la plus ou moins grande habileté avec laquelle il les raccorde. Si l’historien est le premier à raconter certains faits ou s’il se permet quelque réflexion originale, il n’ajoute ainsi qu’une couche d’épaisseur variable aux stratifications déposées par les âges précédents ; la distinction est toujours aisée à faire entre son apport individuel et ce qu’il doit à ses devanciers. L’oeuvre conçue de la sorte se constitue par juxtaposition ; elle est comparable à ces cristaux qu’on peut cliver sans modifier la nature intime de leurs parties géométriquement additionnées les unes aux autres. Elle est si impersonnelle que, lorsqu’il s’agit d’événements dont l’auteur a pu être le témoin, on est en droit de se demander s’il parle en son nom, quand il les relate, ou s’il ne fait que copier des documents, aujourd’hui